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14 octobre 2009 3 14 /10 /octobre /2009 17:49
 

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Une partie de ma famille vit en Amérique Centrale, au Salvador. Quand j’étais petit, on me regardait bizarrement parce que le dimanche je n’allais pas voir ma grand-mère dans le village d’à côté : par contre une fois par an, du moins lorsque le café ne s’était pas vendu à un cours trop bas, elle nous arrivait du bout du monde, de là où il y a des tremblements de terre, des jardins qui ressemblent à la jungle et, à l’époque, une interminable guerilla. C’était d’autant plus étrange d’ailleurs que, faute d’aéroport dans notre petite province, c’est à la descente du train de Paris que nous allions l’attendre. C’est un pan compliqué de mon histoire-géographie personnelle sur lequel je reviendrai peut-être dans ces lignes, c’est en tous cas ce qui m’a poussé à aller voir La Vida Loca (« La vie folle »), le documentaire de Christian Poveda sur les Maras, ces bandes armées qui sèment la terreur là-bas, sorti au cinéma en France fin septembre.

 

Quand on connaît ce pays, l’idée qu’un type ait pu filmer un documentaire sur les maras relève de la science-fiction. C’est comme aller filmer l’intérieur d’un volcan en maillot de bain dans la lave en fusion. Ou plus précisément, comme un des personnages du film Salvador d’Oliver Stone, essayer de capturer au plus près l’image d’une rafale de mitrailleuse. Jusqu’à s’y perdre. Comme l’a fait Christian Poveda justement, mort assassiné quelques semaines avant la sortie de son travail sur les écrans.

Car là bas, il n’est nul besoin d’être agrégé de littérature hispanophone pour lire le journal : si vous comprenez les mots « assessinato » et « muerta violente », vous arriverez sans problème jusqu’en page 5 ou 6 de La Prensa Grafica ou du Diario de Hoy. Il y a une douzaine d’homicides par jour (en moyenne), pour une population de 7 millions d’habitants (deux tiers de la région Ile de France). La société est balafrée par de multiples fractures, certaines pénibles, d’autres tragiques. Ainsi, la conquête Espagnole remonte à un demi millénaire mais le métissage reste sporadique, et chaque visage dénonce immédiatement les origines : tribus Mayas originelles de la région ou Européens installés de plus ou moins longue date, issus des guerriers, aventuriers puis commerçants qui ont colonisé l’endroit. Mais en réalité le racisme le plus toxique est surtout social, il trace une frontière invisible mais omniprésente et quasiment infranchissable. On peut en lire les conséquences dans le regard plein de colère froide des enfants des écoles : ils savent que leur bel uniforme a peu de chances de les mener à de meilleures conditions que leurs parents, enlisés dans la pauvreté résignée, l’analphabétisme, les superstitions endémiques et parfois l’alcool. On peut le percevoir dans l’absence de regard, justement, que portent sur eux les classes moyennes et aisées. Abritées par une relative prospérité qui leur permet un mode de vie totalement occidentalisé, celles-ci ont pris une longue habitude de l’isolement et du repli sur soi. Elles ont souvent été prises pour cibles – au sens propre - durant la guerilla (ne leur parlez surtout pas de guerre civile, ils ne veulent voir là qu’un prolongement de la guerre froide sans aucune cause sociétale locale !). Ciblés à tort d’ailleurs, car les « vrais » riches étaient depuis belle lurette en sécurité à San Francisco ou en Floride. Les troubles sont terminés, les souvenirs sont vifs et les cicatrices pas toujours propres, mais au moins, les opposants armés d’hier sont devenus des partis politiques, et la démocratie fonctionne. Par contre les armes de l’époque ont été éparpillées sans contrôle, et alimentent une des plus meurtrières délinquances du monde. Alors, on vit une modernité proprette et technophile, mais chacun dans son coin, dans des maisons hérissées de barbelés, dans des quartiers en apparence banals mais sillonnés par des gardes armés. On traverse derrière des vitres fumées une ville vécue pour l’essentiel comme étrangère, hostile. De fait, mieux vaut rester là où c’est surveillé et climatisé. On en oublie de croiser le regard du vigile, de saluer la petite vendeuse du magasin, et l’on finit par trouver normal que l’autre s’écarte devant nos pas. Pendant ce temps, le fils de la bonne regarde de loin la Playstation® qui coûte six mois du salaire de sa mère, et personne ne semble s’en rendre compte. Facile de juger cet autisme apparent, vu d’Europe, lorsqu’on n’a pas été menacé, lorsqu’on n’a pas craint chaque jour le rapt ou le meurtre de ses proches, lorsqu’on peut marcher dans la rue ou faire un tour à la campagne sans penser à se munir d’une arme à feu.

 

San Salvador - Musée National J.Guzman - vitrine consacrée aux superstitions locales

 

Ce que nous montre le documentaire de Poveda, c’est donc l’envers de ce décor-là. Ce qui se trame derrière l’invisible rideau. Ce que l’on devine lorsqu’on réside au Salvador, ce que l’on craint, ce dont on n’a que des indices, comme les empreintes d’un dragon dans la forêt : les photos dans le journal, les statistiques, les récits horribles des familles dont un membre a disparu sans laisser de traces, l’omniprésence de policiers nerveux et de gardiens équipés d’énormes fusils devant tout commerce digne de ce nom, les conseils inquiets des proches : « non… ce quartier, il ne faut pas y aller ». Poveda nous montre les coulisses de ce sinistre théâtre de très près, de dedans, et c’est cela qui est incroyable. Il ne fait pas de plans au zoom depuis la colline d’en face, il ne fait pas de la sociologie théorique à partir de photos satellite, ni du discours calibré d’ONG angélique, ni, non plus, du rapport technocratique pour quelque instance internationale. Il filme cru, là, dans la chambre, en face à face, il fait parler l’intimité, le quotidien. Sa caméra et son micro attrapent tout, de la fumée du crack à la sueur des prisons, il nous le restitue avec un montage percutant, sans aucun commentaire.

Et l’on est pris par le vertige, comme toujours, de constater l’évidence, c’est-à-dire l’humanité dans toutes ses dimensions. Celle de la victime et celle du bourreau, dont les frontières se brouillent de fait, la plupart des assassinés étant eux-mêmes des membres de gangs. Ces gamins de 13 à 25 ans – jamais plus, et pour cause… - sont versés dans une ultraviolence pure, meurtrière, sans idéologie, sans but, sans fin prévisible, sans plan d’ensemble, hormis peut-être pour d’hypothétiques grands chefs de cartels riches et oisifs qui vivraient cachés on ne sait où. Le phénomène semble s’auto-entretenir, un peu aidé par les expulsions hebdomadaires de repris de justice ayant purgé leur peine aux USA. Cela perdure à la manière d’une épidémie, sans que quelqu’un n’en tire vraiment les ficelles.

Alors ils rigolent. S’aiment parfois, baisent bien sûr, et l’on s’essaie à faire le parent dans des conditions dantesques, reproduisant souvent le chaos qu’ils ont eux-mêmes vécu dans leur petite enfance. L'une appelle son bébé Osiris... et se fait stériliser le lendemain de son accouchement. Ils vont chez le médecin. Ils doutent, réfléchissent, rêvent. Certains espèrent. Ils sont organisés, cohérents, certaines remarques sont d’une intelligence tranchante. Ou est donc le monstre sale et stupide que l’on cherchait ? On s’en veut d’en être étonné, ils pleurent aussi. Beaucoup. Il ne manque pas d’occasions : les veillées funèbres, ponctuées de signes codés et d’une sorte de prière collective immuable, s’enchaînent à un rythme effréné. On en oublierait que ces maraderos sont des adolescents. Les « héros » filmés par Poveda font leur tour de piste, racontent leur vie, disent leur morale de l’histoire, fanfaronnent un peu, essaient de s’en sortir, ou pas. Dans les deux cas c’est très dangereux de toutes façons, la Mara n’oublie pas, elle cherchera sans relâche celui qui tente de s’en éloigner. Sa mémoire collective perdure on ne sait comment, tandis que les interviewés sont retrouvés les uns après les autres dans une flaque de sang caillé au petit matin. On emballe le corps maigrichon du gamin aux tatouages inertes dans un grand sac en plastique noir, sur le pick-up de l’institut médico-légal, puis, vite apprêtés, dans ces horribles cercueils vitrés traditionnels là-bas (tropiques obligent…), dont on ne fermera l’inutile couvercle qu’au moment de la mise en terre. Le gang fait la quête dans le quartier pour payer l’enterrement, les caïds s’excusent pudiquement de déranger les petites vieilles, lesquelles donnent la pièce. Surréaliste. Les filles pleurent leur amoureux. Les mères, lorsqu’elles existent, pleurent leur enfant. Les garçons pleurent leur amoureuse (personne n’est épargné), et jurent vengeance (« que c’est dur un enterrement… mais tout ça se finira dans le sang ! » promet l’un, entre deux sanglots). Tout cela en écoutant avec un respect manifestement sincère le trop jeune prêtre qui débite son sermon, promettant des jours de paix et d’amour, gracias a Dios. Les enfants eux ne pleurent guère, ceux que l’on voit dans le film ont le regard si vieux déjà, à trois ans ils en savent trop, on dirait qu’ils attendent leur tour... L’image est dure souvent, bien sûr, mais certes pas plus agressive que cette réalité si difficile à capter.

 

Aborder la question de la psychologie de ces gosses à distance et collectivement est un exercice plus qu’incertain. En quelques grands traits je n’évoquerai donc que quelques généralités :


La perte d’identité : elle est explicite, marquée par l’attribution d’un nouveau nom lors de l’entrée dans la mara. Le nom d’état civil ne réapparaîtra plus guère qu’au tribunal. La sonorité des noms choisis détonne, évoquant plus les dessins animés de Tex Avery qu’un monde de tueurs : El Duke, La Chucky, Snarf, La Droopy… Les tatouages rituels peuvent recouvrir l’ensemble du corps visage compris, signant l’impossible retour dans la société – et l’improbable chance de survie en cas de rencontre d’un membre du gang adverse. Comment se sent-on soi-même, lorsqu’on a le visage barré d'un « 18 » en chiffres de vingt centimètres de long ? Cette perte d’identité est une dilution, permise par la formation d’une sorte de « personnalité collective » où le groupe fonctionne pour lui-même. L’individu n’y a pas de réelle autonomie. Bien sûr il existe une organisation et une hiérarchie, bien sûr chaque mort est pleuré et chacun occupe une place plus ou moins valorisée, mais le rythme des pertes est tel que le groupe se recompose en permanence, sans jamais changer son mode de fonctionnement. Cela évoque très largement les phénomènes décrits par mon collègue Frédéric Gelly dans sa thèse consacrée aux traumatismes de guerre durant le conflit de 1914-1918 (*) : les soldats étaient exposés à la mort – la leur toujours possible, celle de leurs camarades de combat, l’omniprésence des cadavres – en permanence, durant des mois. On sait la puissance des liens qui unissaient les anciens combattants, les blessés de la face par exemple. Ici pas de guerre qui donnerait une signification collective aux traumatismes psychiques graves et répétés (abandons précoces, maltraitance physique ou sexuelle, violences familiales puis dans la rue, subies ou simplement vues, menaces sur la vie et crimes commis devant eux, découverte de cadavres…) qui sollicitent, en l'absence d'aide extérieure, des mécanismes de défense peu élaborés qui conduisent à la répétition des drames, en boucle. On y rattachera l’insistance des maraderos à cultiver et exalter constamment la fraternité dite « première vertu du gang », corollaire de l’incroyable force gravitationnelle du groupe. Face à ce sentiment la famille disloquée, l’école sans avenir et la société rejetante font peu de contrepoids. On remarque au passage que si les Maras ne semblent pas recruter ailleurs que chez les pauvres, les origines ethniques semblent abolies par l’appartenance au gang. Plus étonnant encore, il reste toujours quelques petits morceaux de liens avec le reste de la société, ces enfants ne viennent pas du fond de la galaxie : éclairés par la caméra de Poveda, on devine ainsi des bribes de relations avec un parent éloigné, une voisine affectueuse, un ancien enseignant… Il semble bien rare que tous les ponts soient coupés.

 

« J’avais tellement besoin d’un père », pleure cette gosse interviewée après l’assassinat du reporter. Après la fraternité et la recherche assoiffée de liens « horizontaux », la recherche d’un père semble être une autre constante. Car l’absence symbolique des pères est évidente : ils sont soit morts, soit en prison, soit disqualifiés par leur alcoolisme ou leur violence intrafamiliale. Au minimum ils sont affaiblis par leur absence de reconnaissance sociale (chômage, pauvreté, métiers avilissants…), et en tous cas quasi invisibles dans le film. Ils ne protègent de rien, ne guident vers rien, ne transmettent rien. Les mères apparaissent au contraire plus réelles, avec leur lot d’incohérences et de points de faiblesse, mais réelles. Et ce gamin qui dans le bureau de la juge qui semble souhaiter de tout son être qu'on l'enferme, enfin, qu'on le protège de lui-même... Il y a certainement là un facteur qui pousse à préférer le groupe, avec ses lois claires (le rôle du père n’est-il pas de véhiculer la Loi ?), sa constance, sa contenance, son caractère finalement beaucoup plus prévisible et – finalement - rassurant, que bien des familles esquintées. Avant l'entrée dans la Mara, tous les autres liens interhumains, horizontaux ou verticaux, sont fragmentés, instables, angoissants. C’est sans doute un facteur aussi qui pousse à se tourner vers Dieu, figure paternelle par excellence.

 

On est ainsi frappé – assommé ? - par Dieu. Car tous l’implorent et c’est une grande surprise. Eludant systématiquement l’essentiel (l’absurdité de la violence), le discours des diesyocheros est ainsi quelquefois touchant. En plein milieu de sa fête d’anniversaire, un gars demande une minute de silence pour leurs « frères » tombés. Il évoque Dieu. Tout le monde le prie et s’en remet à lui. Les bons, les méchants, le ministre de l’intérieur, le chef des voyous, la femme du chef des voyous qui vient de se faire buter, l’éducateur d’une ONG, la juge des mineurs, le « frère » du voyou qui jure vengeance, Dieu est appelé par tout le monde, tout le temps. Hallucinantes images d’une séance de prêche obligatoire dans une maison de redressement, où l’on bombarde un évangéliste puro Gringo débiter sa Bible en Anglais traduit en simultané par un gardien. Hallucinantes oraisons, à la fois naïves et blasées déversées par ces prêtres – tous assez jeunes, étrangement –  pendant que coulent les larmes vengeresses des bandits les plus dangereux du monde. Hallucinantes paroles de celui-ci, exhortant une jeune mère de 16 ans incarcérée pour recel, à « s’accrocher à Dieu sans jamais lâcher sa main, comme le ferait un Pitbull » !!! Quel que soit notre rapport personnel à la religion, on est forcément questionné par cette remise permanente entre les mains d’un sauveur qui pourtant, dans ce pays, semble occupé à tout autre chose… Cela traduit-il du fatalisme, un simple trait culturel ? Est-ce de la résignation, une séquelle tardive de la guerilla, un abattement face aux catastrophes qui trop souvent s’abattent par ici ? En tous cas les trois termes de la devise du drapeau "Dios, Union, Libertad", semblent décidément difficiles à rassembler...

 

De fait, rien de ce qui a été fait pour lutter contre le phénomène des maras ne fonctionne : le tout-répressif a démontré son indécente inefficacité au fil des années. La police semble hésitante, maladroite, brutale quand il faudrait dialoguer, manquant de fermeté quand un cadre clair paraît indispensable (ses réactions ne sont pas sans rappeler l’excellent film Wesh-Wesh où Rabat Ameur Zaïmeche nous parle de nos banlieues ; si la gravité de la violence n'est pas comparable - encore que des actes de barbarie soient également commis chez nous - le parallèle mérite d'ailleurs d'être réfléchi). Il faut dire qu’elle se sort assez difficilement d’une sinistre réputation acquise depuis les sombres heures des années 80. En face, on oppose des projets de réinsertion qui semblent bien fragiles, bancals, parfois assis sur un discours benoîtement moralisateurs totalement décalé. Ceux-là peinent à convaincre dans un pays où l’on raisonne souvent avec brutalité. D’un côté comme de l’autre, les adversaires montrent chacun un fatalisme à toute épreuve face au problème général : « on n’y peut rien, Dieu règle tous les problèmes, alors espérons qu’il règle aussi celui-là ». A l’échelle individuelle on s’enferme dans le cycle tristesse-révolte-vengeance (ou fantasmes de vengeance). Ces raisonnements sont éventuellement suivis d’actes justifiés par une idée simpliste : « il n’y a qu’à tous les tuer [les pauvres, les riches, les maras, les bourgeois, les communistes, les militaires… selon le camp où l’on se trouve !] et le problème sera résolu ». On nie au passage l’évidence que cela ne marche pas, et ce n’est pas faute d’avoir essayé… Si au moins le massacre avait prouvé son efficacité, avec le plus sombre des cynismes on pourrait éventuellement se résigner à l’envisager, mais on n’a même pas cet argument là. Le pays a pourtant payé déjà bien cher pour essayer d’éradiquer ses ennemis intérieurs, et pour avoir constaté que c’est aussi impossible qu’inutile… Se réconcilier, alors ? Ouvrir les portes puisqu'on ne sait pas les fermer convenablement ? Tendre la main à l'autre que l'on ignore et déteste ? L’apprentissage sera long, et il faudrait déjà qu’il y ait une volonté, et que cette volonté soit acceptée par le peuple.

 

 


 

On est alors glacé par ce genre de commentaire, trouvé sur Youtube au sujet de l’assassinat de Poveda : « il n’y a qu’a tous les tuer et laver ce pays de toute cette merde ». Il y aurait plusieurs dizaines de milliers de maraderos au Salvador. Il ne sera certainement pas facile de ramener ces jeunes assassins vers une insertion crédible dans une société apaisée. Autant dire, en conclusion, que l’espoir est une denrée à ne pas gaspiller dans la région. Sur les routes là-bas on voit marcher constamment des milliers, des millions, des milliards d'enfants, on dirait que tous les enfants du monde marchent sur les bords des routes du Salvador. Pourra-t-on toujours leur dire d'un air morose : "hay que confiar en Dios... y nada mas" ?



Bertrand Gilot


magasin de souvenir, site Maya El Tazumal



Pour aller plus loin :


à noter tout d'abord : la sortie prochaine (21 octobre) d’un autre film, de fiction celui-ci, traitant des maras : « Sin Nombre ».


http://www.laprensagrafica.com/revistas/septimo-sentido/59174--christian-poveda-.html


http://www.rue89.com/2009/09/03/christian-poveda-realisateur-francais-assassine-au-salvador?page=2#comment-1034497


http://www.mediapart.fr/club/blog/michel-puech/100909/assassinat-de-poveda-cinq-arrestations-pour-un-piege


http://www.mediapart.fr/club/blog/michel-puech/040909/l-assassinat-de-poveda-bouleverse-la-famille-de-visa


http://www.monde-diplomatique.fr/2004/03/REVELLI/11063

 

GELLY F., La Grande Guerre : Frères d’Armes ; approche du traumatisme de guerre, des défenses psychiques immédiates et à distance, conséquences post-traumatiques. Thèse pour le Doctorat en Médecine, Université de Lyon I. 2000, 267 p.

 

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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 09:44

C’est un vieux monsieur, propre sur lui, technicien à la retraite, discret et peu loquace, parisien typique quoique dépourvu de la gouaille éponyme, qui a réussi à rendre fous avec ses troubles fonctionnels intestinaux incurables une palanquée de gastro-entérologues réputés et quelques psychiatres. Il a aussi fait une « vraie » dépression, authentique et certifiée, il y a quelques années, qui a bien évolué une fois traitée par le premier antidépresseur venu. D’entretiens creux en discours factuels et évasifs, la question de l’éventuelle somatisation n’a jamais réellement évolué : il s’est toujours situé le plus loin possible des grandes élaborations vertigineuses qui fondent les psychothérapies efficaces.

A force de bricolages médicamenteux tous plus éloignés de leur AMM les uns que les autres, son médecin traitant et moi avons fini par trouver la martingale qui soulage son transit sans attirer la foudre de son cardiologue ni ouvrir un sac de nœuds d’interactions pharmacologiques tentaculaires. Alors, on n’ose plus trop toucher à rien, et on a convenu de se voir trois à quatre fois par an, brèves rencontres au déroulement convenu pour s’assurer en commun que rien ne va plus mal ni mieux qu’auparavant, et qu’on ne change surtout rien au traitement. Attitude qui n’est pas ma préférée, mais qu’il faut savoir adopter de temps en temps dans ce métier.

Et cette fois-ci, dès la salle d’attente, il était évident que quelque chose n’allait pas. Malgré moi je commençais à me raidir, à me préparer à encaisser le choc des ultimes révélations pointilleuses et interminables concernant son gros intestin, son affaire Clearstream portative à lui.

En fait non. Il voulait me dire que sa fille unique, âgée d’une quarantaine d’années et mère d’un enfant, s’est fait écrabouiller par un camion, alors qu’elle circulait à bicyclette. Qu’il n’arrive pas à pleurer, « même au cimetière », et que la douleur lui stagne en dedans, comme immobile, blanche, terne, acide. Qu’il arrive à manger et dormir, à peu près, comme ça, et même à voir des gens. Comme agitant un frêle bouclier, il répète que « c’est dommage », parce qu’elle avait « une belle carrière devant elle ». Il fait très bien la différence. « Je suis malheureux, mais pas déprimé ». Juste malheureux. Infiniment. Pendant nos longs silences, plongé dans son regard lourd et sec, je me suis senti  à côté de lui, sur la plage, au pied d’une falaise de craie blanche dont un pan immense venait de s’écrouler, sans pouvoir le soulager d’aucune manière, sans savoir rien réparer de ces catastrophes là, ni l’aider à remonter ailleurs, ni, non plus, rester auprès de lui dans le froid et la nuit.

 


Ordonnance identique, rendez-vous dans trois mois. Ne rien changer.

- Vous m’appelez si…

- Oui, oui…

Dans ma prochaine réincarnation, je ferai menuisier, ou pilote de ligne, ou constructeur de décors pour le cinéma.

 

BG

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28 septembre 2009 1 28 /09 /septembre /2009 22:06


Ceux qui ont vécu des traumatismes psychiques, ceux qui partagent leur quotidien et ceux qui les soignent le savent bien, il est de dangereuses blessures qui ignorent le temps qui passe. Des blessures psychiques vertigineuses, conséquences directes d’événements effroyables où tout fut basculé, la conscience de soi, les limites de son corps et de ses perceptions, l’entrechoquement de la vie si fragile et de la mort si brutale. Des avalanches qui dérobèrent le sol des certitudes sur lesquelles on avait négligemment construit son âme. Les études épidémiologiques les plus rigoureuses nous disent que ces confrontations tragiques entraînent des troubles de type « état de stress post-traumatique » dans un quart à un tiers des cas en moyenne, mais parfois beaucoup plus selon les circonstances. Circonstances qui ne manquent hélas ni en quantité ni en diversité dans l’horreur, qu’il s’agisse de drames individuels ou collectifs, publics comme le terrorisme ou privés comme l’accident de voiture, intimes, comme l’inceste, ou spectaculaires comme la guerre. On sait cependant que les troubles sont plus fréquents lorsque l’effraction traumatique est causée par une action humaine volontaire plutôt que par une catastrophe naturelle ou accidentelle. C’est ainsi que le taux de malades monte à plus de 80 % chez les victimes de torture, par exemple, ou même 100 % chez des soldats qui avaient passé plusieurs semaines à enfouir des cadavres avec des pelleteuses.

Le tableau clinique de l’état de stress post-traumatique est clair, univoque et stéréotypé au début, je ne ferai que survoler ici les symptômes principaux : syndrome de répétition (cauchemars récurrents, images ou pensées intrusives…), émoussement affectif et/ou hypervigilance, réactions de sursaut, dépression associée dans 90 % des cas. La caractéristique temporelle intéressante de ce syndrome est l’existence, fréquente (mais non systématique) d’une période de latence, totalement asymptomatique, et pouvant atteindre… plusieurs décennies. Il arrive donc que la malédiction s’abatte trois jours, six mois ou quarante ans après les faits, comme en témoignent certains patients que j’ai pu rencontrer, déclenchant leurs troubles trente ans après la guerre d'Algérie par exemple (j’ai eu du mal à me le figurer avant d’en faire l’expérience par moi-même). Ce tableau clinique se remanie largement au cours du temps, compliquant singulièrement le diagnostic : parfois n’en émergent que des plaintes somatiques (des douleurs, la fameuse sinistrose quelquefois…), une dépression chronique, une "simple" insomnie (attention à l'examen clinique !), des phobies (dont l’objet n’est pas forcément en rapport avec le traumatisme). Quelques patients vont jusqu’à la clochardisation, au suicide, à des passages à l’acte violents et dénués de sens (cf. les vétérans du Vietnam et les fusillades aux USA, mais aussi combien de tyrans domestiques ?). Plus confuse et peu étudiée, est la transition directe (sans état de stress post-traumatique décelable) entre le traumatisme et l’apparition d’une addiction, hypothèse que j’ai abordé dans ma thèse et qui est bien peu documentée. Les addictions sont fréquentes dans les cas d’abus sexuels précoces, tant il est difficile de se fabriquer une histoire viable après ce genre de transgression massive, plus difficile à repousser à l'extérieur de soi car souvent dénuée de menace et de brutalité physique.

Sans soins, le traumatisme ne s’oublie pas, il restera toujours une ombre qui plane, parfois inconsciemment, bien facile à comparer à une épée de Damoclès. Le cinéaste Roman Polanski, a été reconnu coupable d’avoir eu des relations sexuelles avec une mineures de 13 ans, en 1977, qu'il avait droguée et fait boire. Il avait alors rapidement fui ses responsabilités, et les Etats-Unis, pour une contrée qui à l’époque avait l’asile facile (mieux vaut être  cinéaste pédophile Polonais qu’universitaire rétrosexuel Afghan ?). Aujourd’hui, la victime dit ne plus souhaiter de poursuites, ce que tout le monde prend pour une justification (depuis quand la victime tient-elle la main de la Justice ?), et une partie du monde artistique et politique s’émeut tout fort que la justice Américaine demande des comptes à ce monsieur. Agé de 44 ans au moment des faits, on ne voit pas bien ce qu’il peut plaider ni ce qu’on peut lui trouver comme circonstance atténuante : avoir du sexe avec une gamine de 13 ans, à 44 ans, je veux bien admettre qu’on était en pleine période David Hamilton et en pleine « libération sexuelle », il n’empêche que c’était un délit pénal dans la plupart des pays, et qu’il a été jugé dans un pays démocratique, et qu’il a fui. La gamine est devenue grande, elle semble avoir réussi à se construire, tant mieux, il n’empêche que cette « expérience » aura indéniablement été pour elle un problème imposé perversement par un tiers ayant sur elle un pouvoir impossible à combattre (asymétrie adulte / enfant, etc.). Or, il n’existe pas de tribunal pouvant prononcer une amnistie pour les traumatismes psychiques, qui puisse décider de les faire cesser ou débuter, continuer ou régresser. A l’intérieur d’une âme brisée ou tordue par le choc, il n’existe pas d’artistes commentateurs autoproclamés pour fustiger la justice Américaine, et il n’existe pas non plus de Bernard Kouchner, Ministre de la République Française - mais ces mots ont-ils encore un sens ? - pour demander aux juges Suisses de ne pas appliquer la loi (!), au prétexte que « les faits datent de plus de trente ans ». Un professeur de gymnastique qui tripote une lycéenne, c’est un monstre qu’il est urgent de lyncher, par contre un cinéaste qui viole une enfant, c’est un génie incompris lâchement persécuté.

Là, je crois bien que c’est moi qui n’ait pas encore tout compris…

BG


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24 septembre 2009 4 24 /09 /septembre /2009 00:32


Le score vient d'être
publié, et même annoncé par un membre du gouvernement (N.Morano) : en 2008, en France, 156 femmes ont été assassinées par un mari violent.

On nous l'avait pourtant dit l'hiver dernier à la télé, le dangereux, c'est le fou ! Le malade, celui qui parle tout seul dans le hall de la gare, celui qui se lave heu... pas souvent, celui qui dit que la radio lui parle dans son ventre, celui qui s'est "échappé de l'asile", le forcément "dangereux" schizophrène ? Celui que les psychiatres "abrutissent avec des médicaments" ou bien "laissent trop facilement sortir dans la rue " (au choix...). Quel échec pour les fous, qui n'ont tué qu'une poignée de gens l'an dernier, certes de façon spectaculaire et relativement télégénique, pendant que les maris à la main leste  enlevaient à l'affection de notre pays l'équivalent d'un Airbus de passagères... au chaud... en silence... à domicile et sans ordonnance, sans caméra, sans président de la république.

Dans ce cas précis je ne m'insurgerai pas forcément contre l'éventualité du bracelet de géolocalisation pour les coupables (avant le meutre, si possible, on est bien d'accord) pouvant peut-être atténuer le sentiment de toute puissance qu'ont bien souvent développé ces hommes à force d'intimidation sans réponse, de menaces efficaces et d'autocensure prudente de l'entourage. Il est donc plus que temps que les autorités s'intéressent au phénomène. Il est aussi plus que temps aussi que, face à elles-mêmes, dans leur miroir, les victimes, je veux dire les encore vivantes, prennent leur destin en main.

Que de fois l'on entend encore cette phrase étrange, seuls le savent peut-être ceux qui les soignent : "appeler la police ? oh non, tout de même pas, docteur...".

BG

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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 16:37

 

Cela faisait si longtemps que nous ne nous étions plus revus. Combien d’années, déjà ? La dernière fois, je m’en rappelle bien, je travaillais encore à l’hôpital, c’était pendant ces interminables années de « post-internat ». Ces années où sous le titre ronflant de «Chef de Clinique – Assistant », on sert à un peu tout (prendre la garde de Noël quand les médecins titulaires sont en RTT) et un peu à rien (ne pas voir son nom cité en bas des travaux que l’on a rédigé). Ces années où l’on s'épuise à croire, encore un tout petit peu, que la loyauté et l’application seront naturellement reconnues et pourquoi pas, récompensées - avant d'accepter le constat que les chaussons devant la cheminée restent désespérément vides.

Bref depuis cette époque où j’attendais la dernière couche de vernis avant d’être recraché par la Machine à Fabriquer des Docteurs (avec un sourire figé un peu comme les petits bonshommes qui peuplent les terrains de baby-foot) je ne l’avais pas recontactée. Je n’attendais plus rien d’elle je crois. Ses petits cadeaux me semblaient désormais moches, lointains, inutiles, j’en avais même jeté certains. Elle ne m’appelait plus non plus, mais elle continuait mécaniquement à m’envoyer des invitations de temps en temps, auxquelles je ne répondais pas. Cela me touchait bien un peu, mais je sentais qu’elle le faisait sans vraiment penser à moi, et je savais qu’elle ne remarquerait pas mon absence.

Et puis, je m’en rends compte aujourd’hui, j’ai fini par oublier jusqu’à son existence. Insensiblement, après avoir partagé tant d’intimité, tant de complicité, tant de moments forts, grisants tout au long de mon début de carrière, sa place dans ma vie s’était refermée, rebouchée, il n’en restait qu’une pâle cicatrice. Comment et par quoi l’avais-je remplacée, c’est difficile à dire. Sans doute par une réorientation de ma pratique professionnelle où j’évitais de la rencontrer directement : j’utilisais bien sûr certains de ses services, mais sans passion, froidement, avec des attentes précises et des exigences rationnelles. J’explorais d’autres façons de faire, je me rendais compte qu’au fond je n’avais pas autant besoin d’elle qu’elle n’avait pu me le faire croire. Et aussi, pour me distraire quand la tentation de la rejoindre pointait à nouveau, je lisais quelquefois la revue Prescrire.


Alors quand elle m’a téléphoné l’autre jour pour me proposer un rendez-vous, mon sang n’a fait qu’un tour. Après une courte et vaine hésitation, j’ai dit oui, bien sûr j’ai été faible, j’ai dit oui, je voulais savoir, je me le cachais mais j’en rêvais, il fallait qu’on se revoie un jour, bien sûr, Oscar Wilde ne disait-il pas que l’on peut résister à tout, sauf à la tentation ?


Et ce matin, elle est venue. Comme avant. Elle n’a pas changé. Elle, l’Industrie Pharmaceutique, a pris cette fois comme pseudopode pour entrer en contact avec moi, le visage anodin d’une dame polie et consciencieuse. Une dame qui en bonne visiteuse médicale a attendu – bien malgré moi, je le précise – vingt minutes dans la salle d’attente avec un sourire figé, un peu comme les dames qui posent pour les publicités pour des bas de contention. Elle m’a tendu une poignée de mains ferme et rassurante avant d’entrer dans mon bureau traînant derrière elle une lourde valise à roulettes remplie de trucs inutiles, comme une collégienne avec son Tann’s® sur le dos.

Après un échange de banalités cordiales, la dame a sorti de sa remorque les paperasses multicolores nécessaires à l'accomplissement du rituel, avec le mystère d'un pope s'affairant derrière l'iconostase. Son regard s’est voilé pendant qu’elle lançait dans son cerveau le logiciel qu’on lui a installé lors du dernier séminaire de formation, trois jours sans sortir dans un hôtel à 4 km de chez elle, entre deux séances de team building où elle avait dû lancer en rougissant de la mousse au chocolat sur son directeur régional. Brutalement, j’ai alors perdu le fugace sentiment de contact humain qui m’avait traversé en la saluant : « si vous voulez opter pour le prélèvement automatique, tapez dièse ; si vous voulez recevoir les offres de nos partenaires, tapez étoile… ».

Le choc a été terrible. Car çàa n’a pas manqué : elle s’est mise à me raconter, sur le même ton que si elle avait lu un prompteur qu’une nouvelle étude parfaitement indépendante ...gnagnagna avait prouvé ...blablabla que son antidépresseur qu’elle vend ...patipatapati était le meilleur de l’Univers Connu et Inconnu et qu’on s’en doutait bien, hein n’est-ce pas docteur, mais que là ça y est cette fois, c’est sûr et vrai de vrai, et c'est le sien qu'est le mieux.

Silence.

Vertige.

Malaise.

Mal de tête (à peine, mais quand même).

Mon regard s’est troublé, ma tête s’est mise à tourner, des souvenirs me sont revenus, massivement, agressivement, comme autant de bouchons de champagne gratuit qui m’auraient bombardé subitement. Je réalisai le gouffre. Le précipice. Le canyon qui nous sépare aujourd’hui, qui s’est creusé entre nous durant ces années d’absence. La peau qui a écaillé le vernis de joueur de baby-foot - chez moi, pas chez elle. Et pourtant c’était du light, je vous jure. Pour une reprise, ils m’ont envoyé une gentille, elle était pas habillée comme une hôtesse du Salon de l’Auto, elle n’a pas essayé de m’offrir un pot à crayons en carton avec un calendrier qui clignote imprimé dessus, elle ne m’a pas glissé une invitation à un symposium bidon animé par un professeur corrompu dans un château à la con, et, comble du luxe, elle ne m’a même pas saoûlé avec des explications neurobiologiques dont elle ne maîtrise pas le quart de la moitié des notions. Je n’ai même pas eu à subir l’épreuve du « visuel », vous savez ces affreux tableaux pondus par le service marketing comparant une courbe verte virilement ascendante montrant son produit et une courbe rouge qui vasouille illustrant le médicament concurrent honni (la publicité est une science exacte, certes, mais elle a aussi ses limites…). Je n’ai plus écouté un seul mot de ce qu’elle me racontait : c’était impossible, le désir était absent, la panne était maintenant trop apparente, et je ne sais pas trop bien simuler, alors j’ai eu soudain une grande, une immense envie que très très vite, on ne soit plus là, ensemble, face à face, cela souillait mon souvenir et mon présent aussi, il fallait que ça s'arrête, vite.


Elle a dû le sentir, la dame, parce qu’elle a fait rudement court, en tous cas à comparer des longues séances de suçage de cervelle auxquelles j’avais dû assister autrefois à l’hôpital, en échange de quelques viennoiseries trop grasses, d’un pin’s et d’un petit lot de post-its sous l’œil distrait d’un chef de service resté bloqué assis en mode « veille », les menottes budgétaires aux poignets. J’ai pourtant été poli, moi aussi, neutre, impassible, compatissant même. Elle a dû le sentir, et elle a fait court, et elle est repartie à Laboland, avec le même regard que fait mon banquier quand il me propose des « nouveaux produits qui pourraient m’intéresser » alors que je le vois pour lui demander tout autre chose, et il sait qu’il doit me le dire, et il sait que ça ne sert à rien, et que son action n’influera en rien sur ma décision, mais qu’il y est obligé, et je le regarde avec compassion parce que je sais qu’il sait que je sais qu’il est obligé et que toute cette mascarade ne sert pas à grand’ chose au fond et que je sais qu’il était mieux, il y a un mois de ça, en tongs et en short sur une plage quelconque mais loin d’ici. Et la dame du labo de ce matin elle aussi, elle a lu dans mes yeux que je sais qu’elle sait que son passage ne modifiera pas mes prescriptions, et que son article scientifique « totalement indépendant » je n’y accorde qu’un crédit fort limité et qu'il sera à la corbeille avant ce soir, et qu’elle sait aussi que je sais que ma compassion envers elle l’agace mais que j’y peux rien, c’est dans ma nature.



Allez, au fond, sans doute c’est mieux qu’on ne se revoie pas.



BG

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10 septembre 2009 4 10 /09 /septembre /2009 11:09
Que les fans de Mickael Jackson ne m'en veuillent pas, j'étais presque en vacances et mon inspiration aussi lorsque leur idole s'est éteinte, et il manquera donc mon billet pour accompagner leur deuil. Deuil que je partage aussi un petit peu puisque j'ai quand même dansé sur Thriller dans mes première "boums" (tiens ça existe encore ça ?) et que la cassette (une casssette, mais si rappelez-vous) des meilleurs tubes de ma pré-adolescence lui faisait une large place.

Par contre, la lecture du Monde du 3 septembre donne quelques infos intéressantes sur son "médecin personnel" le désormais célèbre Conrad Murray. Il faudra un jour que le Conseil Mondial de l'Ordre des Médecins (organisme encore à créer, avis aux médecins potentophiles de tout poil...) se penche sérieusement sur la notion de "médecin personnel" à laquelle j'ai un peu de mal à adhérer. Car un médecin, à la différence d'une brosse à dents, ça se prête, c'est ouvert au public, ça joue un rôle vis à vis de la collectivité, et puis la compétence c'est quand même au contact d'une masse de problèmes variés qu'on peut l'entretenir...

Alors un médecin privé, c'est bien difficile à se représenter... Remarquez ça va avec la logique de l'époque, tout ce qui était très largement collectif il y a encore vingt ans devient privé, personnel, incessible, inaliénable. Ce ne sont plus seulement des privilégiés marginaux mais toute une partie de la classe moyenne qui désormais possède SA piscine (minuscule et dangereuse pour les enfants, mais bon), SON cinéma perso (ah tiens le CNP Odéon a fermé... heureusement il reste les blockbusters en DVD), et on ricane sur les Suisses qui ont dans les immeubles l'obligation de partager (aïe !) un lave-linge commun. Avec les courses sur Internet et le libre choix de l'école des enfants, la mixité sociale fond comme la banquise du Pôle Nord. Enfin bref, la star avait son médecin perso rien qu'à soi.

La première raison pour laquelle j'aurais bien voulu le rôle, c'est quand même le pognon, parce que le Dr Murray était - toujours selon Le Monde - rémunéré 150 000 Dollars par mois pour ses services, ce qui même si l'Euro est fort en ce moment, laisse de quoi se payer plein de trucs vachement importants (des piscines, des home cinema...). Mais surtout, je suis à peu près certain que j'aurais fait mieux que lui. Si. Car j'ai sursauté en lisant l'affreux déroulement des prescriptions du jour fatal au chanteur : il s'est vu administrer pour son insomnie des benzodiazépines , et parmi les plus sédatives de cette catégories, à (au moins) cinq reprises en six heures, per os et en perfusion. Déjà, beau score, cela aurait mis en danger de mort même un toxicomane averti. Mais le plus rigolo est d'avoir tenté, l'administration de Propofol (Diprivan®), ce médicament utilisé couramment comme anesthésique. Au demeurant c'est un bon produit, dont la tolérance est excellente. Mais c'est un bon produit anesthésique... Je ne sais pas trop ce qu'a voulu faire le collègue (quelque chose me dit qu'on va bientôt lui poser la question droit dans les yeux et une main sur la Bible...), mais administrer un anesthésique à la volée, dans une chambre d'hôtel, sans autre personnel médical à ses côtés ni matériel de réanimation (réanimation non pas au sens de "il se passe un truc grave" mais "prévention des complications liées à l'utilisation d'un médicament ultra-sédatif"), c'était quand même très, très rock and roll au point que, on m'aurait demandé mon avis, je lui aurais dit de pas le faire. On note au passage qu'en plein Los Angeles, il a fallu 53 minutes à l'ambulance pour arriver...

Surtout qu'à la base, revenons aux fondamentaux, l'indication de prescrire (TOUJOURS se demander "pourquoi je fais ce que je suis en train de faire") était... une insomnie, et que le propofol a été admninistré à... 10 h 40 du matin, après une nuit sans sommeil. Combien de fois me suis-je engueulé avec des infirmières de nuit qui m'appelaient - me réveillaient - pendant mon bref sommeil des nuits de garde parce qu'un patient "ne dormait pas"... Après s'être assuré que le patient n'avait AUCUN autre problème que l'insomnie, cela finissait toujours par le même dialogue : "Et vous ça vous arrive de mal dormir parfois ? - bah oui. des fois. Et vous appelez le SAMU ? - heu... ben non." Voilà comment à fétichiser un symptôme on finit par terrasser la maladie à coup de bulldozer, et le malade aussi, mais avec la fierté de le voir mourir guéri. Exit ici l'autre principe fondamental "primum non nocere" (avant tout, ne pas nuire) hérité d'Hippocrate et que l'on tend si souvent à oublier dans nos contrées hypermédicalisées. Le docteur Murray est présenté comme cardiologue (j'avais lu généraliste sur une autre source, mais admettons). Il a fait strictement n'importe quoi en jonglant avec des médicaments qui ne sont pas de son champ de compétence, en essayant de traiter un problème qui dépassait très largement ce qu'il savait reconnaître et traiter. Cela aurait pu être ridicule et même rigolo, ça a fini par un drame, médiatisé uniquement parce qu'il s'agissait d'une célébrité.

En l'occurence un rapide recoupement d'information permet de supposer assez  fortement que Mickael Jackson ait pu souffrir d'un sévère Etat de Stress Post-Traumatique consécutif à des violences subies dans l'enfance, puis surtout à l'incendie de sa chevelure qui a failli le tuer lors du tournage d'une publicité au début des années 80. Cet événement a été le point de départ de son acharnement obsédant pour son apparence physique (jusqu'à la destruction par une chirurgie inadaptée), de cauchemars récurrents, de diverses addictions médicamenteuses, de douleurs physiques permanentes aussi. Je n'ai rien lu concernant une éventuelle prise en charge psychologique - cela aurait-il changé le cours des choses ?



EPILOGUE

Régulièrement je découvre les bricolages naïfs insensés de certains confrères avec les médicaments psychotropes. Rarement une star de la chanson en meurt, mais ça fait des dégâts quand même. On a beaucoup fustigé les patients et leur propension à trop demander de médicaments, on évoque trop peu - et on n'étudie pas vraiment - la manière dont nombre de médecins, généralistes ou spécialistes médecins ou chirurgiens, se croient compétents pour diagnostiquer et traiter n'importe quelle souffrance psychique qu'on leur présente. Ainsi la perte d'emploi un peu angoissante du petit neveu se traduira par "un petit Lexo", la rupture amoureuse autant le cancer seront transformés en chouettes souvenirs par "du Deroxat®, ça vous fera du bien". Jusqu'à quand ? En visant quel symptôme ? Avec quelle alternative ensuite ? En prenant garde à quelles contre-indications ?  En surveillant quels effets-secondaires ? En ciblant quel rapport bénéfice / risque ?

- Allô le psy ???
- je peux pas vous répondre on m'attend pour opérer une appendicite, après je dois prescrire une chimio et ensuite j'ai mes patients suivis pour arythmie cardiaque...

Décidément, un médecin personnel c'est comme une piscine privée ou un home cinéma : ça sera toujours trop étriqué, pas assez surveillé, la bande son ne fait pas illusion bien longtemps et l'image reste, in fine, un peu palote...

BG
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10 septembre 2009 4 10 /09 /septembre /2009 10:01


L'interview de la sociologue Danièle Linhart dans Le Monde daté du 9/09/2009 appelle une réflexion sur les méthodes de management encore largement employées actuellement en entreprise mais aussi, qu'on ne se méprennent pas, et avec la même violence, dans la fonction publique. Je parle de violence d'emblée, car comment qualifier autrement cette volonté délibérée et organisée de "créer de l'instabilité permanente" ou, comme le décrit cette chercheuse, "en comptant sur le narcissime des salariés" pour accomplir une tâche qu'on ne leur donne volontairement pas les moyens d'accomplir.

Le narcissisme que l'on peut plus ou moins traduire par amour de soi, c'est l'indispensable libido (énergie amoureuse, affectueuse) orientée vers soi-même, c'est une force vitale sans laquelle notre carcasse peinerait à accomplir la moindre action. On vit parce qu'on s'aime, on agit parce qu'on s'aime, ainsi on communique et se lie aux autres, ainsi on se distrait, on explore... et on travaillle. Les candidats au suicide rescapés mettent presque toujours en avant le désamour d'eux-mêmes, l'arrêt du moteur intérieur qui comme la pompe cardiaque dans le corps maintient la vie, la tension vers un avenir possible. Hors ses excès - on aura l'occasion d'en causer ici - le narcissisme est donc une force universelle. En témoigne au passage l'état de stress post-traumatique (ou ESTP ou PTSD), qui contrairement à ce qui a longtemps été proclamé peut affecter tout un chacun, et non pas une vague sous-classe de gens "fragiles" : les militaires le savent bien, quand près de 100 % des soldats qui ont participé à l'enfouissement de charniers au Rwanda ont souffert d'état de stress post-traumatiques (confrontation à la réalité de la mort, attaque du narcissisme par remise en cause de la certitude inconsciente de notre immortalité, cf. les écrits de François Lebigot, Claude Barrois...). Attaquer précisément ce point de l'individu, par l'humiliation, la dévalorisation, la mise en échec sans échappatoire possible, la régression de carrière injustifiée, etc, est une faute criminelle. Bien sûr tout salarié maltraité ne se suicide pas (heureusement...). Mais qui peut affirmer avoir la force de résister à l'infini face une collectivité organisée avec comme but précis de vous foutre soit dehors, soit à plat? Facile sans doute de rebondir, se libérer, se convaincre qu'on a seul raison face à un chef et des collègues au regard condescendant, et aller voir ailleurs si on y est. Moins facile peut-être, si l'on a en même temps à faire face à un enfant malade, un divorce sur le feu, un parent Alzheimer, ou simplement quand on a 56 ans et trente ans dans "la boîte" et une expertise dans un domaine et un seul... Le cas de cette brillante sous-directrice du machin-chose dans un groupe prestigieux du CAC40, venue récemment consulter avec déjà un genou à terre, a fini de me convaincre que non, il n'y a pas que de braves techniciens quinquagénaires (lire dans l'imaginaire parisiano-classe-moyenno-bien pensant : "analphabète aux mains calleuses") qui soient exposés à ce risque-là.

Pour revenir au management proprement dit, les militaires savent bien également que confier des moyens insuffisants pour une mission donnée fait augmenter considérablement le "stress opérationnel" et qu'en temps de guerre ou d'urgence, cela conduit à des catastrophes, des décisions absurdes ou dangereuses, un sentiment de culpabilité face à l'échec prévisible puis accompli, et que cela dévaste des régiments entiers. Il n'est que de prendre au hasard n'importe quel récit sur les combats de 1914-1918 pour se persuader des effets  mortels de cette logique prise comme règle extensive de commandement (voir à ce sujet l'édifiant "Le gâchis des généraux", de Pierre Miquel).

Le plus intéressant - et inquiétant, aussi - reste de voir comment des directeurs de toutes envergures, des cadres supérieurs, moyens et inférieurs, des grands et petits contremaîtres, ces êtres humains avec un nom, un prénom, une identité, une culture, une citoyenneté, peuvent continuer à transmettre jour après jour un venin aussi toxique à leurs semblables, et rentrer chez eux le soir avec le sentiment replet du travail bien fait, et des ordres bien exécutés. Ca me rappelle quelque chose, mais quoi déjà... ?

Bertrand Gilot 

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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 22:03
J'ai un peu honte : aujourd'hui je cède à mon tour à cette tentation, et me voilà contraint de taire pour mille ans tout le mal que j'ai pu penser des gens qui blogguent des vidéos, comme de ceux qui vous envoient dix liens Youtube par e-mail, comme s'ils étaient mûs par le vague espoir pervers que la lecture de vos messages saura vous scotcher devant votre PC bien plus de temps qu'i n'en faut pour déclencher un CCAO (conflit de couple assisté par ordinateur) et/ou pour vous faire poster votre 2035 avec deux jours de retard.

Bon c'est mon tour, mais vous verrez ça vaut la peine. La découverte, un peu par hasard, des films d'animation de Michael Dudok de Wit, est une révélation. Il y en a quelques autres en libre accès sur le web. C'est plein de... et de... ah...

Et  puis cette musique de Corelli !

On en recause dans les commentaires, si vous voulez ?



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16 mai 2009 6 16 /05 /mai /2009 01:12


Oui je sais mon titre racole un peu, mais l’heure est grave : j’ai failli m’étrangler en tombant sur cette dépêche (brièvement reprise notamment par Le Monde et trop peu commentée) qui témoigne en surface, des reflets que notre sondocratie aime à scruter dans son miroir médiatique, et en profondeur d’un malaise certainement plus grave qu’il n’en a l’air : 51 % des Français, dame ça fait du monde, « ont une image négative des jeunes ». Au hasard, j’aurais plutôt dit 53 % mais on n’est pas là pour parler de politique. On nous dit ainsi que 70 % des sondés trouvent les jeunes « individualistes », par exemple. La méthodologie du sondage de l'AFEV prête un peu à critique (sondage sur un échantillon réputé représentatif, mais via internet) mais il n’empêche, le choc est là.

Je suis glacé de voir ici la confirmation d’une tendance que je craignais, mais que je persistais à voir comme un pur produit de mon mauvais esprit. Je me disais que ce ne devait pas être si grave que ça, mais c’est pourtant la réalité : ils n’ont rien compris. Ils (et elles bien sûr), ce sont ceux qui ont arrêté d’être jeunes, il est bien difficile d’en fixer la limite précise évidemment mais à la louche, disons, ceux qui sont nés avant le début des années soixante. Il faut que je fasse attention moi-même, mon assureur m’a récemment confirmé par ses tarifs qu’il me trouvait moins jeune qu’avant (moins cher pour la moto, plus cher pour la mutuelle…), et puis aussi je commence à trouver que les ados s’habillent bizarrement (signe indubitable de mon appartenance à l’âge adulte), mais jamais je ne m’aventurerais à lancer un jugement aussi détestablement péremptoire sur « les jeunes ».

On peut les défendre, on va trouver des tas d’exemples qui démontreraient que non, les jeunes ne sont pas plus individualistes que dans ce supposé paradis perdu des décennies précédentes, on va parler des associations, des engagements humanitaires (si fréquents chez les quinquagénaires, c’est bien connu…), des projets artistiques collectifs, de l’utilisation parfois maladroite mais souvent riche malgré tout des réseaux modernes de communication. Mais ils sont assez grands pour le faire eux-mêmes, alors par pure provocation je ne citerai que les rave party, ces rassemblements extrêmement massifs sur lesquels on a tout raconté, tout stigmatisé, tout critiqué, sauf à mon sens le plus important : pour exister ces événements nécessitent un très fort réseau de liens, une organisation, une cohérence, une direction, une adhésion collective mais libre à la fois, et il s’y déroule bien moins de drames, quoi qu’on en dise et malgré des consommations toxiques impressionnantes, que dans la moindre soirée de football de première division (sans même parler de la violence, du racisme et autres glorieuses valeurs véhiculées par ce type de « sport »…), ce qui témoigne sans doute d’une grande capacité de respect mutuel et, osons le mot, d’une certaine maturité même au cœur de l’excès.

Mais on peut surtout, ils le méritent gaillardement après lecture de ce sondage, attaquer les autres, les « vieux », enfin du moins ces consternants 51 %. Qui sont-ils pour se poser ainsi en donneurs de leçons omniprésents, omnicompétents, omnimoralisateurs ? Qui sont-ils pour juger des problématiques d’aujourd’hui à travers des filtres aussi démodés ? Quand on a vécu, alimenté, habité (et donc cautionné), une société pétrie de clivages aussi violents que résistants/collabos, FLN/OAS, pro/anti-avortement, pro/anti-peine de mort, quand on a attendu 1948 pour donner le droit de vote aux femmes (et 1997 pour juger Papon, ou 1986 pour dissoudre le peloton voltigeur motorisé…), comment peut-on porter un avis aussi hautain sur une jeunesse qui s’encombre si peu de savoir de quel village, de quelle religion ou quel milieu social viennent ses voisins de banc à la fac ? Et puis la guerre froide qui a alimenté les peurs du temps de leur âge d’or vaut-elle plus, ou bien vaut-elle moins, que les infinies réverbérations du 11 Septembre qui bercent la jeunesse française d’aujourd’hui ? Et
quand on a contribué à saloper la Terre à qui mieux-mieux (écologiquement, socialement, avant ou après la colonisation…), de quel droit méprise-t-on une génération montante qui semble enfin (un peu) plus consciente de ses actes ? Quand on a fêté la construction des barres HLM à perte de vue (« ah oui mais il y avait des salles de bain, au moins… ») et les autoroutes intra-urbaines, quand on a applaudi la déshumanisation des centres-villes au profit de monstrueuses zones commerciales asphaltées « parce que c’est plus pratique pour se garer », quand on a considéré que 700 m2 de planète par personne c’est un droit imprescriptible, et que le bon voisin est un voisin dont ne sent pas l’odeur du barbecue, quel regard ose-t-on poser sur une génération montante réduite à stagner et qui – la faute à la médecine – doit parfois attendre d’avoir 65 ans pour hériter de ses premiers euros d’aide à l’installation ? Ah, on peut bien leur jeter du syndrome de Tanguy à la gueule ! Ah ouais tiens, ils restent chez papa-maman à 28 ans, bizarre non ? Salauds de jeunes ! profiteurs ! En plus ils s’abritent encore sous la mutuelle à Papa, faudrait pas abuser ? Mais il faut vraiment avoir de la fange dans les yeux pour ne pas être au courant qu’aujourd’hui, un jeune diplômé commence sa vie active par des stages infinis et plus ou moins bénévoles, des périodes d’inactivité subie, des contrats précaires, tandis qu’un jeune non diplômé connaîtra le même parcours, grosso modo, mais au black. Comment font-ils pour ignorer que le temps est terminé où il suffisait de vouloir pour avoir du travail, de travailler pour réussir, et d’être un peu plus malin que les autres pour s’enrichir ? Et pour ne pas savoir qu’aujourd’hui habiter coûte trop (qui accède à la propriété sans héritage ni soutien familial, dans les grandes villes ?), manger coûte énormément, s’habiller devient vertigineux – sans même compter avec la multiplication étourdissante des tentations mercantiles ? C’est vrai à la fin, c’est pas parce qu’on gagne 900 € par mois avec un loyer de 500, qu’on ne peut pas se payer des lunettes et une couronne dentaire tous les deux ans, non ? Ce genre de raisonnement totalement à côté de la plaque me fait penser à ces piliers de bistrot (ou de repas familial…) qui beuglent entre deux verres de Sauvignon (ou de Médoc, c’est selon) que les types qui sont en prison « ne devraient pas se plaindre, ils ont la télé tout de même  ».
Et c’est pareil pour la vie privée : ceux qui ont connu au choix, la Stabilité Eternelle du Couple Garantie par la Religion, ou bien les grands dérapages libertino-déglingués post-Woodstock se rejoignent pour oser, sans honte aucune, émettre des avis définitifs sur les turpitudes amoureuses d’une génération à qui l’on enseigne dès avant la puberté que aimer peut tuer, d’une manière bien plus menaçante que ce que tous les syphilitiques du troisième Empire n’ont jamais ressenti. Bref, la rhétorique de cette fraction du pays est toujours la même : nous on a fumé tout ce qu’on a su, et au-dessus de votre berceau encore et dans les couloirs de la maternité, mais vous c’est terminé, ça donne le cancer et puis c’est nous qui paye. Nous on a roulé bourrés durant toutes nos études, mais vous attention y a Sam qui veille, pas de blagues. Pareil pour la vitesse, et pour toutes les griseries dont on prétend spolier les nouveaux locataires du monde. La griserie, voilà la drogue magnifique dont ils se sont goinfrés et qu’ils veulent interdire aux autres.
Et je ne parle pas de la rengaine rancie du rutabaga et de la chicorée,– je mélange un peu, mais pas tant que ça, vous allez voir – privations mythiques autant qu’éphémères qui viennent légitimer cinquante ans de consumérisme débile et autosatisfait, de la yaourtière électrique à usage unique jusqu’aux vacances aux Seychelles CO2 inclusive (rarement choisies par les moins de 25 ans - sans doute trop occupés par leur « individualisme »). Allez, je vous échange votre baril de topinambours contre ma baguette surgelée au blé OGM cuite à l’électricité nucléaire et je vous file en bonus mon shampooing aux paraben, tope-la ? Ils n’ont rien compris, ils ne comprennent rien, c’est désespérant. Ils ne comprennent même pas leur ridicule quand dans la même phrase ils accusent les Chinois de « déstabiliser notre économie» et vous vantent ce T-Shirt acheté cinq euros à l’hyper du coin, ou ce tournevis électrique payé 3 euros avec les embouts adaptables et une batterie de rechange. A désespérer. Ils ne comprennent pas mieux l’indécence qu’il y a à fustiger le moindre indice de ferveur religieuse chez les Musulmans, forcément fanatiques ils l’ont dit à la télé, alors qu’eux-mêmes ont déserté sans se retourner les églises où ils furent baptisés, sans même la pudeur de réaliser qu’ils ont jeté le bébé de la spiritualité avec l’eau du bain d’un rituel dogmatique. Oui la pudeur, c’est ça, il leur manque la pudeur.

Je pourrais continuer encore longtemps comme ça, en déclinant mille aspect de la vie de notre société et mille hypothèses psychosociomachin, mais ça me fait des aigreurs à l’estomac, et puis je sais au fond que c’est pas bien, et que la stigmatisation d’une catégorie n’est que rarement porteuse d’espoir. J’ai parfaitement conscience que ce portrait au vitriol d’une paire de générations est excessif. Malheureusement il n’est excessif que sur un point : on ne trouve pas l’ensemble de ces travers chez tous le monde… mais ils sont largement répandus quand même. On en trouve des bouts, des grumeaux, des parcelles chez de nombreux concitoyens démasqués par leurs ridules, de tous bords politiques, de toutes conditions, de toutes origines, qui semblent décidément avoir loupé une marche entre deux époques.
Tout cela ne serait qu’anecdotique si cette tranche de la population n’occupait pas, actuellement, la quasi-totalité des postes de pouvoir, de direction, d’administration, de pilotage du pays, qu’il s’agisse des cadres et dirigeants des grandes entreprises, des administrations publiques, des hôpitaux, des élus de la République, etc. Ce sont eux qui évaluent, décident, tranchent, recrutent, forment, nomment… toujours sur des critères définitivement périmés, et avec une large part d’autocongratulation, et avec une belle imperméabilité à toute remise en cause. Qui confondent audace et autoritarisme, expérience et mauvaises habitudes, élan créatif et bricolage besogneux. Eux qui rêvent d’un circuit de Formule 1 dans une zone dédiée à l’agriculture biologique. Eux qui se félicitent du nombre d’Africains expulsés à coups de pieds dans le ventre. Eux qui thésaurisent et finissent par tout figer au lieu de transmettre et partager, comme si le jeune était forcément un rival plutôt qu’un successeur légitime - un peu comme ces mères déclinantes qui se déguisent dans les fringues de leur fille adolescente : l’argent bien sûr ne circule plus, mais non plus les responsabilités, les déroulés de carrière, les horizons. (*)

Le titre de l’article était accusateur et un rien brutal, la conclusion se doit d’être plus ouverte. Quoique. Ces 51 % que j’ai apostrophés doivent finir par réaliser qu’à moins de fortifier et armer en vue de lourds combats leurs futures maisons de retraite, il va bien falloir composer, et cela sans attendre d’être sauvés par le gong de l’Alzheimer. Il va bien falloir lâcher du lest. Des sous, des libertés, des postes… et, surtout, rêvons un peu, un dialogue authentique et respectueux, délié de l’insupportable condescendance moralisatrice si souvent observée dans les rapports entre générations actuellement, en particulier dans le monde professionnel. Car le malaise est intense, il traduit une souffrance, des peurs, des attentes inassouvies. Probablement des deux côtés de la ligne me direz-vous, mais comment nier que le premier arrivé a toujours une part plus grande de responsabilité ? Si la fissure s’aggrave il y aura fracture, et elle fera mal : chacun le sent, je crois. Une guerre civile intergénérationnelle ferait assez mauvais genre dans les futurs manuels d’histoire. Mais si les yeux s’ouvrent enfin, si les oreilles se débouchent, si l’expérience est enfin transmise – avec sincérité - si la tentation hallucinée d’étouffer sa propre progéniture est enfin écartée, alors il y a peut-être moyen de faire quelque chose d’intéressant : ensemble.

Chiche ?









(*) à part : si un jour j’ai le temps je vous parlerai aussi de la Caisse de retraite des Médecins de France (CARMF) dont les rédactionnels sont pétris de valeurs et de menaces qui ne sont plus les nôtres : à les lire on se se croirait en pattes d’eph devant un papier peint à fleurs oranges, les chars Russes à nos frontières, éructant qu’il est urgent faire payer les jeunes installés pour les vieux qui n’ont pas cotisé… mais c’est une autre histoire.
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17 avril 2009 5 17 /04 /avril /2009 16:21
Voici un petit extrait de mon livre "Antidépresseurs : faut-il en prendre ou pas ?" concernant la symptomatologie dépressive. En espérant que ce petit texte de vulgarisation pourra rendre quelques services...

Le syndrome dépressif : des symptômes courants dont seul le regroupement est spécifique
[…]

Il existe des formes différentes de dépression, nous allons donc […] décrire ici une forme typique de dépression sévère, appelée selon les termes en vigueur actuellement « épisode dépressif majeur ». […]

La dépression se manifeste par un ensemble de symptômes qui concernent les émotions, les pensées, les comportements, les relations aux autres, le fonctionnement du corps. Chacun de ces symptômes, pris isolément et sur un laps de temps bref, peut être ressenti en dehors de la dépression par tout un chacun.  Ce qui est réellement spécifique de la dépression, c’est leur association et leur stabilité dans le temps (au moins deux semaines dit-on). Comme toutes les maladies, il arrive bien sûr que la symptomatologie soit incomplète (certains symptômes sont absents), masquée par une expression particulière (des douleurs physiques par exemple), ou déformée par un premier essai de traitement (y compris en automédication, y compris par de l’alcool ou du cannabis…). […]

Les principaux symptômes qui permettent de reconnaître la dépression sont :
-    la tristesse : […] elle n’est pas forcément au premier plan, elle peut même être quasi-absente notamment lorsque la dépression s’accompagne d’un état d’épuisement émotionnel où plus rien n’est ressenti […] son intensité peut atteindre des extrémités difficilement imaginables qui font parler de douleur morale. La moindre information de l’environnement est interprétée à travers ce filtre sombre. Des crises de larmes sont souvent associées bien qu’elles ne soient pas forcément en lien immédiat avec la tristesse proprement dite, on parle dans ce cas de labilité émotionnelle (les nerfs à fleur de peau dira-t-on).
-    L’impossibilité d’éprouver du plaisir dans les activités habituellement agréables : c’est l’anhédonie […]. Elle peut concerner tous les domaines de satisfaction, qu’il s’agisse par exemple de l’épanouissement professionnel, d’un loisir particulièrement investi, ou des relations sociales : « rien ne fait plaisir », on n’a « plus goût à rien », tout devient indifférent. Bien que très gênante, cette difficulté n’est que rarement un sujet de plainte.
-    L’absence de désir, d’envie, de projet, appelée aboulie, que l’on doit comparer avec le dynamisme habituel de la personne. Bien souvent cette difficulté à émettre la moindre initiative est plus remarquée par l’entourage que par le patient. Prévoir les prochaines vacances, une sortie ou l’organisation d’un événement minime devient un obstacle infranchissable, quel que soit le plaisir qui peut en être attendu. Il devient également difficile pour le dépressif de se projeter dans l’avenir, pouvant aller jusqu’à une sensation d’impasse.

Bien d’autres symptômes peuvent être présents, qui découlent plus ou moins de ces trois aspects fondamentaux :
-    La perte d’élan vital, [...] manque d’intérêt pour la vie, d’implication dans sa trajectoire de destinée, contrastant avec la manière d’être habituelle de la personne. L’image fréquemment donnée est celle d’une voiture qui a calé : on sait que les conditions sont réunies pour que tout fonctionne pour le mieux mais rien ne bouge et la volonté est impuissante (« le moteur est là mais ne tourne pas - et je ne trouve plus le démarreur »). Il s’y ajoute une thématique pessimiste qui s’étend à des domaines généralement bien investis. L’estime de soi peut également être profondément altérée, s’exprimant sous la forme d’idées autodépréciation parfois préoccupantes.
-    Le désir de vivre étant dilué voire perdu, les pensées relatives à la mort sont fréquemment signalées. Il peut s’agir de simples évocations abstraites sur la mort en général jusqu’à des préoccupations sur l’éventualité de sa propre mort (« ça serait aussi bien si j’étais mort ») voire un désir de mourir, qu’il soit passif (« si je pouvais tomber malade et y rester… ») ou actif avec des idées de suicide. Ces idées de suicide peuvent être plus ou moins réalistes, allant d’une vague ouverture sur la question (« si un jour je sens que je n’en peux plus… ») jusqu’à l’élaboration d’un projet de passage à l’acte - parfois dissimulé activement. […]
-    La démotivation, le désintérêt, l’ennui, sont à rapprocher de l’aboulie et de l’anhédonie. Cela peut toucher le travail et les projets de long terme, mais aussi les actes simples et nécessaires de la vie quotidienne : répondre aux courriers administratifs, faire les courses, le ménage, peuvent devenir inaccessibles. Au maximum, toute activité peut s’avérer impossible, jusqu’à ne plus pouvoir organiser ses repas ou se laver, on « se traîne », certains patients restant même bloqués au lit quasiment en permanence.
-    Les relations avec les autres, tous les autres – des plus intimes aux plus anonymes - deviennent difficiles, fatigantes, imposent un effort parfois même douloureux qui peut amener des manifestations de rejet ou d’irritation qui ne doivent pas être mal interprétées. Les initiatives deviennent rares ou absentes, mais il n’est pas rare de refuser aussi les sollicitations des proches : téléphone éteint, etc. Cette tendance au repli social isole, éloigne des amis, de la famille, des liens amoureux, privant le dépressif d’une source de soutien et de satisfaction. Cet isolement contribue à aggraver la sensation d’inutilité, d’incapacité et peut mettre la personne en réel danger.
-    Le plus souvent les grandes fonctions de base de la « vie instinctuelle » sont sévèrement perturbées par la dépression : le sommeil est rarement épargné, qu’il s’agisse d’insomnie d’endormissement avec des ruminations pessimistes ou tristes, ou plus spécifiquement de réveils en milieu ou en fin de nuit, au petit matin, parfois accompagnés d’une grande souffrance. A l’inverse pour certains c’est un excès de sommeil « refuge » qui se manifestera. L’appétit est fréquemment perturbé également, souvent diminué, parfois augmenté avec un recours excessifs aux aliments gras/sucrés. Enfin la sexualité […] est une des premières victimes de la dépression […].
-    La symptomatologie a tendance à évoluer au cours de la journée, qui débute souvent mal, avec une atténuation progressive quand approche la perspective du repos nocturne.
-    Les aptitudes que l’on nomme cognitives, en particulier l’attention, la concentration est la mémoire sont généralement affectées par la dépression, d’autant plus qu’il s’y associe souvent un ralentissement psychomoteur. Ces symptômes sont évidemment les plus handicapants quant à la poursuite du travail, et renforcent le sentiment d’incapacité du dépressif. […].

On ne rappellera jamais assez que tous ces symptômes :
-    ne sont pas très spécifiques pris isolément, n’ont de sens que regroupés entre eux et stables sur une période de temps conséquentes (l’ordre de grandeur de deux semaines paraît un minimum)
-    ne sont pas forcément présents tous en même temps ni avec la même intensité au cours de l’évolution chez la même personne.
-    doivent donc être impérativement évalués par quelqu’un dont c’est le métier, médecin généraliste ou si possible psychiatre, et cela sans délai une fois que l’on a commencé à se poser la question.

[…] Le dépressif sait qu’il va mal mais ne sait pas toujours qu’il est dépressif (« laissez moi, c’est juste une mauvaise passe »). Il sait encore moins souvent qu’il est possible de l’aider (« ce n’est pas un médicament qui va m’aider ! »). Penser qu’on ne peut pas être aidé est en soi un symptôme de la dépression : ce n’est pas le plus spectaculaire mais c’est peut-être le plus dangereux, car il conduit à ne pas se plaindre, à ne pas demander de soutien adaptée à la situation, qui peut dès lors risquer de s’aggraver… jusqu’où ? Quelqu’un qui va mal et qui ne se plaint pas n’est pas forcément quelqu’un de courageux mais assurément quelqu’un qui est en danger. Se plaindre est une attitude bien peu valorisée dans la culture occidentale, c’est pourtant un moyen efficace d’ouvrir, de décomprimer sa souffrance, c’est aussi déjà attendre un secours des autres.





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