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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 14:31

 

 

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Etonnement toujours renouvelé des Temps Modernes ! c'est grâce au web, et à l'interface mystérieuse qui parvient à relier le fond d'un grenier encombré d'Annecy au reste de l'humanité (via le site de petites annonces leboncoin.fr) qu'Yves Dauteuille s'est fait connaître, donnant une vie digne d'Alice au Pays des Merveilles au moindre porte-manteau, un génie à la moindre lampe de poche et un prix Goncourt à la première table à langer venue.

Et c'est bien là que réside le plaisir transgressif de son écriture : objets inanimés vous n'avez pas d'âme, on nous répète chaque jours que vous avez un prix, voici maintenant que vous avez un langage...

Tout cela valait la peine d'être gravé dans le papier, les écrans d'ordinateur étant décidément trop fragiles et dotés d'une mémoire encore plus éphémère que la télévision.

C'est chose faite, aux éditions Flammarion, ça ne coûte pas cher et vous pouvez vous le procurer en ligne (c'est bien), en librairie (c'est beaucoup mieux !!!)... ou attendre de le trouver d'occase sur leboncoin, mais ce serait dommage...

 

BG

 



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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 21:36

 

En Amérique, c’est bien connu, tout est plus grand. Alors, quand la France médicale se réveille toute nue, et encore saoule, dans les bras d’un Jacques Servier aux yeux brillants qui lui susurre à l’oreille que la sécurité humaine c’est bien, mais que le business c’est mieux, en Amérique, les labos voguent déjà vers des horizons plus lointains.


Faire faire des essais thérapeutiques dans des pays pauvres, créer de vraies-fausses maladies (mais de vraies prescriptions) en bidouillant les critères diagnostiques, cacher des risques connus en spéculant sur le coût des procès à venir, saigner les assurances maladies en vendant à prix d’or de fausses nouveautés (ah ? bah, si ça crée des emplois...), corrompre des universitaires, acheter (ou créer de toutes pièces) des associations de patients, si ce n’est des députés, et quelquefois des ministres, ils savent faire, et même plutôt pas mal, mais ils avaient besoin de quelque chose de plus beau, de plus noble, de plus grand. 
Au rayon intergalactique il n’y avait rien. Alors il se sont rabattus modestement sur le planétaire.

A en croire le récit du journal Le Monde daté du 18 février dernier, un pense-char, pardon un think tank nommé Heartland Institute (le pays du coeur... ça ne s’invente pas), est une des principales organisations de lobbying climatosceptique. Ils agissent via des tribunes de presse, des blogs, des conférences (parfois jusque dans des lieux prestigieux tel l’Institut de Physique du Globe à Paris), afin d’influencer la perception du risque climatique par la population. Cela dès l’enseignement scolaire, mais aussi au travers de publications tendancieuses d’allure scientifique et de rapports remis aux politiques. Le but : contrer, adoucir, occulter, aplanir toute information jugée «alarmiste» (qu’elle soit pertinente, réelle, scientifiquement consensuelle importe peu, on l’aura compris), avec pour objectif  manifeste le maintien en l’état de tout ce qui se pratique aujourd’hui, dans tous les domaines et en particulier dans les industries qui ont un bénéfice direct (à court terme...) à ne rien changer.

Tout cela coûte évidemment énormément d’argent, le budget du machin se monte à 7,7 millions de dollars pour 2012. Dans la liste des généreux donateurs, jusqu’ici tenue confidentielle et révélée grâce à des fuites, on retrouve sans surprise un conglomérat pétro-chimique (mais pas de pétroliers), General Motors, des cigarettiers... Bref de grands bienfaiteurs de l’humanité.

Mais on relève aussi, jusque là cloîtrés dans l’ombre par une pudeur qui force le respect - un tel souci de la discrétion en devient émouvant - les noms des firmes pharmaceutiques telles que Eli Lilly (Prozac®, Zyprexa®, Cymbalta®...), Pfizer (Zoloft®, Effexor®, Champix®...), ou encore, mais la liste n’est pas exhaustive, GlaxoSmithKline (Deroxat®...).

Amis, citoyens, patients, qui prenez des médicaments produits par ces entreprises, médecins qui les prescrivez, soyez heureux : grâce à vos achats vous contribuez à la désinformation active sur le changement climatique, ses causes et les moyens d’y faire face.


BG

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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 22:44

 

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Le dernier livre d'Alexandre Jardin, « Des gens très bien », sort des normes. En tous cas des siennes. L'auteur, qui s'est fait connaître par la légèreté et l'optimisme de romans à la limite de l'eau de rose, nous invite ici à plonger, avec un courage lumineux, derrière la façade qui abrite sa famille depuis deux générations d'un secret lourd.

 

A l'instar de ces découvertes faites au hasard d'une psychothérapie, le secret est ici gros comme une montagne. Il n'est invisible que tant que nous gardons les yeux fermés. Le grand-père de l'auteur, Jean, s'est rendu coupable de participation au plus niveau aux activités, et donc aux crimes, commis par l'Etat Français, ce curieux régime que l'on appelle « de Vichy ». Il exerçait la fonction de directeur de cabinet de Pierre Laval, notamment en juillet 1942. Pourtant la question gênante, obsédante, énorme, évidente, n'est jamais abordée, par personne, dans la famille. Alexandre nous la ramène comme un leitmotiv : où était-il, qu'a-t-il fait, qu'a-t-il pensé, le jour où furent données les directives, signés les ordres mettant en route la rafle du Vel d'Hiv ? Que s'est-il passé à l'intérieur de cet homme si proche, lorsque la machine dont il était un des plus solides rouages a offert en sinistre cadeau à l'occupant, près de 13000 personnes dont 4000 enfants délogés au petit matin par la police française, dont reviendront vivants quelques dizaines seulement ?

 

Le rôle joué par le grand-père après-guerre n'est pas plus engageant : au-delà des frontières de toutes les illégalités, il se survivra longuement, sans une once de regret apparent, en tant qu'intermédiaire occulte du financement de quasiment tous les partis politiques... nourrissant ainsi le cancer qui mine la démocratie. J'ai coutume de dire que l'éthique ne connaît qu'une frontière : une fois franchie la première ligne rouge de l'amoralité, il est illusoire d'espérer le respect d'autres limites. Cela est sans doute particulièrement valable pour les voleurs et les assassins, qui plus est intelligents, qui plus est en col blanc. Conscients de leurs actes. On ne parle pas ici d'impulsion, de survie, de carence d'éducation... Le remord sincère existe, oui, mais il est rare, et bien peu en acceptent le tarif - moralement et socialement - exigeant.

 

Alors après avoir tenté de soulever le voile d'ombre sur lequel s'assoit de tout son poids la majorité de sa famille, Alexandre oscille. Continuer de porter une culpabilité insoluble, d'une faute qui n'est pas la sienne ? Ou casser le miroir, se libérer, au risque d'être jugé par les siens pour ce qu'il porte désormais comme une trahison (le terme revient souvent) faite à son clan ? C'est cette deuxième option qui est choisie, et assumée, qui lui permet de nous livrer cet opus aussi clair que douloureux, précis et indispensable comme le bistouri du chirurgien l'est à l'abcès négligé.

 

Sans doute certains lui objecteront (j'avais écrit « abjecteront ») qu'il ne faut pas remuer la vase – ou la merde, c'est selon – qu'il faut laisser le temps brouiller les mémoires et effacer les traces, que la paix du compromis vaut tous les sacrifices. Que ceux-là prennent conscience de leur mortel égoïsme ! Seul le porteur de ces sentiments sait quel est le prix de cette paix factice. Cette prison terrible qui cloisonne l'âme, condamne l'esprit à toutes sortes d'inefficacités, d'incompétences, d'échecs. Voire à la mort, comme peut-être, on ne peut s'empêcher d'y penser, son père Pascal Jardin, qui n'a survécu que quatre ans à son propre père, lui qui avait passé sa vie à enjoliver à tout crin la mémoire de l'ancêtre. Alors qui osera exiger la patience et le silence ? Qui posera comme condition à la liberté, d'attendre que les barreaux soient mangés par la rouille ?

 

Et puis, dans la succession des mouvements contradictoires qui ont marqué le regard de l'opinion au sujet de la collaboration française au nazisme, on a peut-être, à force d'analyses, de contextualisation, de compréhension, de relativisation, fini par oublier que le salaud existe. Et que si l'on tient à l'exonérer de sa responsabilité, il faut vouloir que d'autres, et qui sont innocents, et sans en avoir forcément directement conscience, en portent le poids.

 

Le prix de l'émancipation semble toujours exorbitant, mais l'émancipation est belle. On peut désormais donner du « Monsieur Jardin » à Alexandre, en espérant qu'il en soit fier. Et que ses proches aujourd'hui outrés, viennent un jour le remercier.

 

BG

 

« Des gens très bien », Alexandre Jardin, Seuil 2011

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23 octobre 2011 7 23 /10 /octobre /2011 19:54

 

Dimanche calme, retour de … vers …, beau temps, route sèche, autoroute fréquentée mais sans plus, les lumières de l'automne soulignent les villages à flanc de colline qui n'en finissent plus de bucoler, des tas d'herbes coupées finissent de fumer dans les champs. A la fois pour tromper la monotonie et histoire de ne pas paraître trop perdu face à mes patients les plus technophiles, je me démène, sans – sans trop - perdre la route de vue, avec une pieuvre de câbles reliant tout un tas de boîtiers en plastique de mauvaise qualité, censés préserver les points de mon permis de conduire, me rassurer sur le fait que je ne suis pas sorti de l'autoroute involontairement, et enfin distraire mes oreilles en zappant de Moby à Corelli sans avoir à ouvrir des boîtiers cassants et malcommodes. Mais sans non plus pouvoir régler l'égaliseur correctement. Si l'ordinateur de bord (Hal ? Tu m'entends ?) a bien compris sa dernière mise à jour, et qu'il dit vrai, je devrais pouvoir arriver à la maison de justesse, mais sans devoir ravitailler en pétrole au prix luxueux imposés sur ce marché roulant mais captif. Bref, tout va bien.

 

Une voiture en panne sur le bas côté. Ah, non, deux. Tiens, sur l'asphalte des morceaux de verre, et des bouts de truc, et un pare-choc, eh merde ils ne sont pas en panne, ça a tapé. Une dame en jaune fluo. Je freine, fort, un type gesticule dans ma direction, ce serait le moment de s'arrêter. Là. Maintenant. D'abord parce que c'est la vie, c'est la loi, la République, tout ça : c'est impératif. Ensuite parce que, cerise sur le gâteau moisi des études de médecine, il m'est un devoir incontournable d'aller, en cas de besoin et séance tenante, repêcher le noyé du fleuve, sortir le bébé de la maison en flammes, réanimer le passager du train, imposer un déroutement au Boeing des vacances. Je sors prestement ce gilet fluo qui me va aussi mal que m'allait la blouse blanche... Rapide tour d'horizon, une AX pétée, la conductrice saigne au mollet mais rien de méchant. Elle est consciente, fripée, ridée, mais pas blette, et pas du genre à se frapper la poitrine en plaignant sa vieillesse assumée. Infirmière retraitée, ça me touche. Bon, elle a rétrogradée un peu trop (et sans raison...), bloqué son moteur en plein dans cette longue descente autoroutière, l'autre derrière n'a pas eu le temps de comprendre. Le percuteur, sexagénaire du genre qui ne sait plus où il a mis son gilet jaune, lui, est sous le choc, mais rien de plus. Sa passagère a pris l'airbag – cet ennemi mortel, si l'on peut dire, des transplantations d'organe - en plein thorax, mais rien d'inquiétant.

 

Ce doit être la quatrième ou cinquième fois que ça m'arrive. A chaque fois le même constat d'impuissance, quand on possède un savoir technique mais pas les moyens de le mettre en œuvre. La première fois, les pompiers sont arrivés au bout de 20 minutes, avec dans leur camion... rien. Si, des couvertures, et des bonnes intentions. J'avais été héroïque – déjà - en prenant la décision de bouger la victime contre l'avis des secouristes présents. Si. Il le faut. Oui je sais que. Mais là. Je le prends sur moi. Merde, je vous dis que ! Sans mon intervention courageuse la dame, survivante d'une éjection à cent cinquante à l'heure, se serait noyée. Dans une flaque d'eau. Parce que, comprenez, il ne FAUT PAS déplacer un blessé. Bref, ça c'était la première fois. Brutalement propulsé au cœur d'une tragédie qui n'était pas la mienne, une fois passée la demi-heure d'attente réglementaire, une fois que quatorze véhicules gyropharesques embolisent l'autoroute, une fois la survivante branchée, tuyautée, coquillée ? Ben, rien. Même pas pour la forme, un papier à remplir, je ne sais pas ? Non rien, je ressors à chaque fois de la tragédie qui ne concerne plus pour continuer ma route comme de rien, au propre comme au figuré.

 

Pour ce dimanche, le pire n'est pas là. Le pire est en toi, mon frère, ma sœur, mon semblable : bande de connards ! Car pendant vingt bonnes minutes, le temps que le premier véhicule de secours viennent signaler le pépin en gyropharisant l'amont du flot, une fois considéré qu'il n'y avait personne à qui dispenser des soins d'extrême urgence et afin de prévenir le sur-accident, comme on me l'a appris, j'ai agité à bout de bras un gilet orange fluo, debout sur la rambarde pour être plus visible. Il fait jour, il ne pleut pas, la visibilité est parfaite, la route est sèche, il y a 3 bagnoles arrêtées sur la bande d'arrêt d'urgence, des débris un peu partout. Un type (je...) agite un tissu orange. Que font les humains ? Ils passent. A fond. Dans les débris, que leurs pneus projettent vers nous comme autant de shrapnells indisciplinés. A un mètre cinquante des épaves immobiles. A fond. La tête dans le guidon. Il y aurait déjà des ambulances, peut-être ils ralentiraient dans l'espoir secret et maladif de voir des ventres ouverts, des flaques de sang, des bouts d'os. Mais là, il n'y a pas d'ambulances : on ne sait pas encore si c'est grave, alors on ne s'arrête pas. On ne ralentit même pas, mettant en danger tout ce qui reste d'humanité au bord de cette route.

 

Pire encore que cette indifférence dangereuse – peu s'en est fallu qu'un plus abruti que les autres n'aille pilonner une des voitures arrêtées – il y a la solitude du héros. C'est moi. Voir qu'il y a un problème - potentiellement grave, s'arrêter, demander s'il y a besoin de quelque chose. Rien de plus. Une plume. Un battement de cil. Une pièce de un centime. Rien. Mille voitures sont passées. Mille conducteurs, parmi eux sans doute il y avait des médecins, des vendeuses, des Adventistes du Septième jour, des karatékas, des investisseurs, des policiers, des instituteurs, des DRH, des maçons, des chômeurs, des champions de tennis, des gens qui votent pour le NPA, des femmes de, des fils de, des frères de. Des gens. La norme, statistiquement, puisqu'ils représentent une majorité. Je n'en revenais pas : je suis le seul à m'être arrêté, dans des conditions où le bon sens, le minimum d'humanité et même la loi pénale l'exigent de chacun !

 

Je ne tire de cet héroïsme autoroutier aucune gloriole, s'en faut, mais au contraire une vertigineuse déception. En matière de désillusion je crois avoir déjà descendu bien bas l'escalier romantique en haut duquel nous placent notre culture et notre éducation, et je peux affirmer que je n'attends, vraiment, pas grand chose du cannibale génocidaire qui habite mon espèce. Mais là... tout de même ! Est-on arrivé si bas dans le degré de conscience minimale de l'autre ? Ne pas porter secours à des accidentés, ne pas même s'informer, et pire, ne pas même préserver un tant soit peut leur sécurité – en ralentissant - une fois que l'on fait l'arbitrage odieux que tout cela risque de nous faire rater le coup de fil de belle-maman et le début du film sur la Deux. On peut arguer que certains ont peur, de ne pas savoir, de ne pas savoir faire face. En l'occurrence, il fallait téléphoner aux secours. Même si l'on craint la vue du sang on sait faire. On peut arguer de la somnolence qu'induisent le rythme autoroutier et les mille assistances des bagnoles modernes qui isolent le conducteur de la réalité, le parasitage incessant de l'attention par les GPS, téléphones élégants et autres gadgets débiles. Mais cela diminue-t-il la responsabilité ? Tout a été déjà écrit sur le comportement à la fois assiégé et agressif qui distingue le conducteur automobile du piéton. Mais là... On ne vas pas excuser tous ces cons dont, chacun, a failli porter cet après-midi la responsabilité d'un vrai drame.

 

Je repars, plutôt soulagé d'être encore vivant, mais amer. Dix kilomètres plus loin, autre accident. Une fille qui a dû faire un faux mouvement a glissé ses deux roues droites dans la boue sur le bas-côté. Rien de cassé, même pas la voiture. Là, deux camions orange bardés de clignotants multicolores signalent l'accident 500 mètres plus tôt. Tout le monde freine, regarde, s'inquiète. Tout le monde est civique, attentif, prudent pour les autres. Les mêmes qui ont frôlé, à fond, les ambulances arrêtées, quelques minutes plus tôt.

 

Il n'est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Quelles que soient les évidences. Une voiture cassée, des gens en gilet fluo qui gesticulent... Je peux parfaitement réussir à ne pas voir. Un camion officiel qui affiche « accident ! » : je le crois instantanément. Vu à la télé. Si les autres le disent, si une autorité le clame, alors là j'adapte mon comportement. Comme dans les expériences de Stanley Milgram. Si mes yeux l'ont vu, si mon cœur l'a senti, si mon cerveau l'a compris... Et bien ? Et bien ça dépend. Trop souvent ça ne suffit pas. On ne se positionne pas en tant que sujet, on ne juge pas, on ne choisit pas, on ne décide pas. On ne freine pas... On n'agit pas en tant qu'homme. Le titre provocateur de l'article faisait allusion à l'une des pires abjections de l'histoire, ce n'est pas pour rien. Je vous laisse faire les liens vous-mêmes : vous êtes sujet, vous êtes humain, vous êtes debout, ou bien ?

 

 

BG

 

 

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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 10:59

La consternation est massive après le report d'une épreuve des ECN 2011 – l'appellation nouvelle du concours de l'Internat. Même si l'information est tombée en plein week-end de l'Ascension, tout a déjà été dit je crois, sur la manière dont les organisateurs ont été infoutus d'effectuer des tâches aussi sophistiquées que : établir des sujets d'examen lisibles, sans ambigüité ni faute de frappe, les imprimer en nombre suffisant, les distribuer simultanément ainsi que les copies et feuilles de brouillons dans sept centres d'examen, enfin débuter les épreuves à la même heure. Infoutus de se rendre compte qu'il y avait un problème, d'y réagir et d'en rendre compte de manière claire et consensuelle. Rappelons l'enjeu : un concours qui sanctionne le deuxième cycle des études de Médecine, donnant accès au choix d'une filière de spécialisation, et de la ville dans laquelle s'effectuera cette phase finale de la formation. C'est une plate-forme, un carrefour solennel et définitif, qui détermine à peu près intégralement le destin de l'étudiant, y compris sa vie personnelle puisque le critère géographique en fait partie. Selon le classement obtenu on deviendra chirurgien en Bretagne, médecin scolaire en Dordogne, professeur de cardiologie à Paris, ce n'est donc pas un choix de détail, un ajustement à la marge, mais le choix réel d'un métier et du mode de vie qui va avec... C'est une épreuve que l'on passe vers 24 ou 25 ans, après six ans d'études, que l'on prépare sur deux voire trois ans dans le stress (programme de révision monumental, incertitude sur l'issue), et qui organise donc la totalité de ces jeunes années. L'effort est accepté par tous, mais avec l'espoir de règles équitables et d'un minimum de compétence de la part des organisateurs. D'autant qu'aujourd'hui, il faut le rappeler, les étudiants en médecine viennent de tous les horizons de la société. L'image du fils à papa oisif et arrogant qui fanfaronne devant la fac avec son Audi neuve a la vie dure. Elle est fausse. Pour conséquence, le classement à l'ECN n'est pas un cadeau de plus pour enfant gâté immature, c'est un gain légitime, obtenu de haute lutte dans un système encore assez méritocratique – rappelons que les facultés de médecine sont publiques et les frais directs peu coûteux, c'est peut-être un des derniers petits bouts d'ascenseur social encore fonctionnel dans notre pays.

 

Le cafouillage observé cette année n'est pas unique. Quand j'ai passé l'Internat, les résultats publiés officiellement avaient été ensuite annulés, puis après trois semaines de bricolage où les organisateurs eux-mêmes lançaient des rumeurs contradictoires, re-publiés avec quelques menus changements (certains reçus se trouvaient recalés, d'autres mal classés faisaient des remontées spectaculaires, etc). Les contacts avec les autorités étaient consternants. Personne ne savait quoi, ni où, ni quand, ni comment. Fukushima. Brûlures d'estomac. Et ça s'est produit plusieurs années de suite, et très régulièrement il y a des bugs de ce genre. Ce n'est pas le cas pour le bac, pour les concours d'écoles de commerce, dans les autres filières universitaires... Pourquoi une telle désinvolture, un tel mépris ? C'est important, ce genre d'histoire, pour comprendre la mentalité de beaucoup de médecins, une fois qu'ils sont installés.

 

Il faut décrire le parcours de A à Z. On commence par entrer dans la voie le bac en poche par un cruel concours qui n'a de différent avec ceux des grandes écoles, que l'absence de préparation adéquate. Ce parcours qui fait rêver tant de jeunes – et surtout fantasmer tant de parents ! - commence entre les murs d'une fac délabrée où il n'y a pas de savon ni de papier dans les WC, parfois pas de chauffage dans les amphis l'hiver. Le premier écueil franchi, on enlève son masque de compétiteur agressif pour découvrir le monde merveilleux des stages hospitaliers où l'on est enfin accueilli. Comme une merde. Il faut mendier une blouse à la lingère (quand il ne faut pas l'acheter soi même, je l'a vécu en DCEM 1), piétiner pour avoir le minimum d'informations pratiques, implorer une carte permettant de manger au self (où bien qu'étant bénévole on payera le ticket plus cher que les agents salariés de l'hosto), s'excuser constamment d'être là, raser les murs, dire oui à tout, exécuter nombre de tâches non qualifiées et non formatrices (pallier le manque de secrétaires par exemple) pour qu'on finisse par vous proposer de ce mauvais café Robusta des hôpitaux, supporter la vaine acrimonie de certaines infirmières, et enfin implorer les aînés qui disent plus souvent « merde » que « bonjour » pour en essorer quelques gouttes d'un savoir transmis de mauvaise grâce. « Mauvaise grâce » tiens, ça pourrait être la devise de nos hôpitaux, s'appliquant universellement à ceux qui y mettent les pieds. Il n'est pas certain que l'externe soit mieux traité que les malades : c'est dire. Ce qui explique une proximité – même physique – entre les deux, l'externe est un des derniers membres du corps soignant et le tout dernier du corps médical, à toucher le corps du malade, à prendre le temps de parler avec lui, et les deux sont également malhabiles dans ce milieu blafard. Pour le prix de la gratuité, on a le droit, pardon l'obligation, d'aller partager les poux des clochards dans la nuit, quand les copains font la fête, quand les anciens camarades de lycée font du voilier à la Rochelle, espérant pouvoir somnoler une ou deux heures dans les odeurs de vomi et les pleurs déchirants qui traversent les services d'Urgences. Ca, c'est pour fêter nos 22 ans.

 

Alors s'allume une lueur d'espoir : la vie deviendra joyeuse si l'on affronte LE concours – le deuxième donc – ce fameux ECN. Si l'on accepte d'y sacrifier le temps et l'énergie nécessaire (au revoir ma jeunesse...), une fois le monstre terrassé, commencera l'internat où pour un salaire d'aide-soignante on subit la jalousie d'un monde où tout le monde est mieux payé que vous et travaille moins d'heures (y compris les médecins séniors). On y endosse des responsabilités quelquefois vertigineuses sous un encadrement hautement variable (on est subitement jugé très autonome quand arrivent le mois d'Août ou les abords de Noël), avec des nuits de garde solitaires où l'on découvre à 2 h du matin que le repas tant attendu est immangeable (les rats de l'hôpital n'en veulent pas : aussi incroyable que ce soit c'est très largement pire que ce qu'on donne aux malades !), puis que la chambre de garde n'a toujours pas été nettoyée (depuis quatre mois) et qu'il faut chercher à l'autre bout d'un couloir lugubre des sacs de draps faits d'un étrange tissu plastifié où l'on suera notre épuisement. Au bout de 4 ou 5 ans de ce régime, après maintes courbettes et formulaires, la thèse et le diplôme en poche, il faut encore passer sous les fourches caudines de l'assistanat – facultatif mais fréquemment choisi, le masochisme guérit lentement – où, privilège du « jeune sénior », l'on découvre à l'insu de son plein gré que tout ce qui porte une blouse voit en vous un dangereux concurrent à éliminer. L'orchestre du Titanic...

 

Bref on a fait le tour. Il ne reste plus qu'à "partir dans le privé", tournant le dos à ces mauvais parents qu'aura représenté le couple fac/hôpital... Le privé, où vous attendent diverses administrations qui partent du principe que, ayant étudié la médecine vous êtes automatiquement riche, snob et fainéant et qu'il convient donc de vous aborder d'emblée sur le ton adapté. Conseil de l'Ordre, Carmf, Drass, Urssaf, CPAM, assurances, fisc, ne cessent de vous demander des renseignements qu'ils ont déjà, des sommes que vous n'avez pas encore gagnées, des comptes sur une activité dont vous ignorez encore l'essentiel, ou bien vous reprocher de travailler comme on vous l'a appris. On ne peut même pas décider de s'en foutre, un médecin en faillite se voit interdit d'exercice au même titre qu'un charlatan. J'aurais dû être peintre en bâtiment. En clinique, vous ajoutez à la liste de prédateurs un fond de pension Australien affamé. Enfin, faut pas se plaindre, à l'approche de la quarantaine, mais pas avant, on commence à gagner sa vie (je veux dire : plus que l'indispensable) et même plutôt bien pour une minorité d'entre nous. Fort heureusement, pour éviter que l'on s'endorme sur les ronces, les gouvernements  nous rappellent régulièrement qu'à tout moment, la collectivité pourrait nous obliger à travailler dans des bleds où l'Etat ne va plus depuis longtemps. Et que vous ne pouvez prétendre à une rémunération comparable aux autres "cadres sup" du pays qu'à condition de travailler 80 heures par semaine. Et surtout, à condition de ne pas s'en plaindre directement : le médecin, à la différence du pilote de ligne, de l'ingénieur, de l'institutrice et de l'électricien, n'a pas le droit de parler ouvertement des questions d'argent relatives à son travail. Ne me demandez pas pourquoi, mais c'est comme ça, et les syndicats de médecins ne manquent pas d'entretenir cette étrangeté.

 

Je n'aborde même pas ici les problèmes intrinsèques au métier : voisinage quotidien de la mort et de la souffrance, choix techniques et humains difficiles, exigences éthiques et réglementaires, etc.

 

Certains d'entre nous ne se remettent jamais de ce traitement multicouche à l'efficacité éprouvée, et deviennent, c'est un fait, et cela ne les excuse pas, accaparés par des préoccupations exclusivement matérielles. Pour certains confrères, sortis de cette essoreuse couverts d'amertume, survivants courroucés d'un système maltraitant où l'humanité chaleureuse est l'exception mémorable, il ne sera plus question de parler de l'intérêt général ni de service rendu. Le moindre rappel aux fondements collectifs (économie de santé, permanence des soins...) est vécu comme une insulte, une suprême contrainte : on est écorché, à vif, n'approchez pas ! En témoignent sans doute les mauvais indicateurs de santé du corps médical (suicides, addictions, espérance de vie...), les départs en retraite de plus en plus précoces et vécus comme des soulagements... Je veux gagner du pognon, partir en vacances dans des beaux endroits et protéger les miens, voilà le viatique minimaliste et autocentré avec lequel la plupart des médecins sont propulsés dans la société.

 

Je suis convaincu de longue date que cette aigreur suffisante est un avatar discret du « burn-out », et qu'une meilleure « gestion » (au sens RH du terme) sur tout le parcours du futur médecin garantirait à la fois bien-être et efficacité durable et solidaire du praticien. Utopie, sans doute, et le tombereau fonce sur d'autres routes... La désorganisation honteuse du concours 2011 témoigne, comme d'autres faits que j'ai cité, du mépris dont est l'objet la figure du médecin dans notre société. Mépris ambivalent, on respecte le docteur adulte mais on crache sur le docteur en devenir, on paye sans sourciller 500 € en billets au chirurgien mais on refuse un salaire décent aux Internes. On dit que c'est un beau métier mais on n'embauche pas de gens compétents pour organiser les examens qui y donnent accès ! Bref, je souhaite beaucoup de courage aux étudiants qui passent, repassent, re-re-passent le concours "ECN 2011". Le courage, ce sera peut-être, pour certains, de dire merde et de choisir un métier plus tranquille, pas moins bien rémunéré, et – si besoin - encadré par des tutelles plus cohérentes. 

 

BG

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 21:38

 

  centrale

 

Il y a chez l’actuel Président de la République quelque chose qui depuis ses débuts dans la vie publique, agace ses détracteurs et galvanise ses partisans : il bouge, beaucoup et tout le temps, mû par une intelligence dynamique capable dit-on d’embrasser un dossier dans l’instant pour s’éprendre d’un autre l’instant d’après.

Cette énergie manifestement renouvelable épate parfois, épuise souvent, laissant en tous cas peu de répit aux moulins à vent qui encombrent sa route. Mais quel que soit le déplaisir qu’engendre ce spectacle dans la vie politique, ce n’est peut-être pas si grave. Il peut s’agir simplement une variante de l’habit du pouvoir que d’autres ont porté étriqué comme un costume de banquier, rigide comme un drapé de statue ou encore faussement décontracté.

 

Le vrai problème c’est quand ce Président stroboscopique rencontre des enjeux dont la temporalité dépasse ses clignotements. C’est le cas du nucléaire et des questions mises dramatiquement en lumière après la catastrophe Japonaise de Mars 2011.

 

L’homme qui se mesure à l’échelle du microcosme huppé de l’ouest Parisien, qui change d’avis chaque jour et de réforme chaque semaine, nous explique ses conceptions sur le risque nucléaire civil dont les étalons sont la région voire le pays, le siècle et le millénaire. Que nous dit-il ?

Deux mois après Fukushima, alors que le monstre de Tchernobyl fête les 25 ans de son sarcophage mal refermé, le Président nous explique que la peur du nucléaire est une émotion « moyenâgeuse » dont les tenants risquent de faire du tort à toute la société (discours de Gravelines le 3 Mai dernier). En cause dans la balance : quelques emplois, et quelques mégawatts. Selon lui la France serait, à la différence du reste du monde, pratiquement à l’abri du risque, sans que l’on comprenne bien le cheminement logique qui le conduit à cette afficher une telle confiance (sauf à faire injure aux ingénieurs Américains, Russes ou Japonais, les trois pays qui ont connu les accidents nucléaires civils les plus graves). Mais pas de chance, on nous a déjà fait le coup en 1986 du nuage saute-frontières. Certes un audit est promis, on fermera les centrales jugées « dangereuses »… qui peut encore croire ce type d’annonce ?

 

Car parler ainsi c’est faire peu de cas de la réalité. Il faut donc rappeler ce que savent les peureux moyenâgeux, et que le Président feint d’ignorer :

  • - La sûreté d’exploitation des centrales nucléaires nécessite impérativement la réunion de plusieurs conditions. Au premier plan, il faut une maintenance permanente de très haut niveau technique, supposant un personnel formé, disponible, approvisionné en outillage et en équipements adéquats. Je laisse le lecteur se remémorer les dates des dernières guerres, révoltes, grèves générales et attentats terroristes qui ont émaillé les cent dernières années. En cas de pareils désordres, au demeurant pas improbables à moyen terme, nul ne sait dans quelles conditions les installations seraient conduites et sécurisées.
  • - Leur refroidissement requiert par ailleurs d’énormes quantités d’eau, sans que l’on sache bien ce qui adviendrait en cas de sécheresse durable impactant le débit et la température des fleuves (cela s'est produit en 2003)(1), ou encore de marée noire obstruant les circuits des centrales côtières. Faut-il encore parler du risque sismique, qui peut se manifester n’importe où et pas seulement dans les zones déjà connues ? Un détail : ces conditions doivent être réunies sans aucune interruption durant des décennies voire des siècles.
  • - Notre approvisionnement en uranium, qui dépend de pays aussi peu sûrs et stables que le Niger, ne serait assurée, au rythme actuel que pour quelques décennies. Comme le pétrole...
  • - La gestion des déchets courants, reconnus  hautement dangereux pour des dizaines de milliers d'années (!!!)(nb : pour donner l'échelle, la grotte de Lascaux aurait été peinte il y a 16000 ans), est également en trompe-l'œil, se bornant au recyclage d'une infime portion tandis que l'essentiel est exporté vers des zones peu habitées... hors de France.
  • - Les centrales ont une durée de vie limitée. Et alors ? Et alors on ne sait pas ce qu’il faut en faire, une fois qu’elles sont devenues vétustes et inexploitables. EDF nous le démontre brillamment à la minuscule centrale de Brennilis (Finistère), où ce qui devait être un chantier modèle patine d’incidents en imprévus depuis 25 ans, pour un coût vertigineux (482 millions d'euros à ce jour, et en vain, selon la Cour des Comptes). A noter au passage que le coût du démantèlement des centrales n’est quasiment pas provisionné par EDF, et encore moins répercuté sur la facture des ménages, ceci afin de favoriser l’acceptation du nucléaire par la population. L'électricité nucléaire n'est pas bon marché si l'on intègre tous les coûts de la filière - et on ne parle même pas du coût en cas d'accident ! Quoi qu’il en soit personne aujourd’hui ne sait vraiment quoi faire de ces lieux contaminés... on attendra longtemps le « retour à l'herbe » promis par les autorités.
  • - La probabilité d’un accident nucléaire civil grave (fusion du cœur) est estimée, c'est un ordre de grandeur par ailleurs soumis à de fortes critiques méthodologiques, à 0,5 ou 1 pour 10000 « chances » par réacteur et par an (2). Ce chiffre en apparence relativement modéré doit être mis en perspective avec le nombre de réacteurs exploités (59 en France, environ 500 dans le monde) et avec leur durée d'exploitation (au moins 40 ans selon EDF, avec possibilité de prolongation par tranches de dix ans). Ces chiffres « faibles » ne doivent pas faire oublier que chaque occurrence est une catastrophe, dont les conséquences sont insolubles (sanitaires, agricoles, environnementales, industrielles, énergétiques...) et comme on l'a vu au Japon, inassurables. Il sont par ailleurs contrebalancés par l'existence de trois accidents majeurs dans le monde en cinquante ans d'exploitation (Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima) mais aussi de milliers d'accidents « mineurs » et d'incidents imprévus. Le risque existe et la réalité montre qu'il est bien supérieur aux probabilités estimées.
  • - En cas de problème et contre toute logique, les plans de prévention des risques sont bâtis à l’échelle de la commune ou du canton, quand une contamination éventuelle aurait en quelques heures des répercussions à l’échelle régionale au minimum, n'épargnant pas les grandes agglomérations.
  • - En cas d’accident, l’exemple de Fukushima montre à quel point, dès lors que les systèmes de sécurité sont débordés, il n’y a pas, il n’y aucun « plan B ». Enfin si, sur le plan sanitaire, comme cela s’est produit en 1986 et aujourd’hui au Japon, on a une solution simple et pas chère : on relève les seuils de radioactivité considérés comme « tolérables » pour les produits alimentaires et les travailleurs sur site…

 

 

Nous avons vécu quarante ans dans la peur – réaliste - d’une guerre atomique. Le risque aujourd’hui n’en est finalement guère éloigné, il est peut-être pire car moins identifiable, inodore, pacifique, civil... et il fait tourner nos lave-vaisselles ! En France ce risque a dès l'origine été largement minimisé par les promoteurs de la filière comme par les autorités politiques.

 

Avant de laisser chacun juger du caractère « moyenâgeux » de ces inquiétudes, rappelons-nous de quoi étaient faites les grandes peurs du Moyen Age. Peur de l’enfer, de la fin du monde ou du jugement dernier, pour irrationnelles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui, ces images symboliques incitaient l’homme à tempérer ses passions, à peser ses actes, à confronter ses désirs aux possibilités offertes par la réalité. A prendre conscience, modestement, que certains de ses choix peuvent déclencher des forces qui le dépassent.

 

A l’ère du nucléaire, l’enfer et l’apocalypse sont à la portée d’un technicien dépressif, d’un kamikaze habile ou d’un aléa géoclimatique. Le monde entier a pu le constater à Fukushima : même dans un pays riche, technologiquement évolué et politiquement stable, il en faut peu pour que notre belle assurance se fissure aussi rapidement qu'un atome de plutonium, et il n'existe ni pays, ni planète de secours. Le monde entier le sait, sauf le Président de la République Française. L’enfer et l’apocalypse nucléaire ne sont pas des fantasmes de hippies rétrogrades : ce sont des risques industriels concrets. Ils doivent être contenus et réduits, impérativement, et c'est urgent. C’est le rôle de l’autorité politique, ce n'est pas seulement celui des ingénieurs, ce n'est pas du tout celui du marché qui n'y voit aucun intérêt à court terme. La position affichée par le Président est une insulte insoutenable à l'intelligence des citoyens et dévoile un manquement inacceptable pour la sécurité de notre pays.

 

 

 

Bertrand GILOT

 

(1) Autorité de Sûreté Nucléaire, rapport annuel 2003

(2) rapport parlementaire Bataille et Galley, 1998

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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 13:21

 

(*) Les pauvres préfèrent la banlieue, Etienne LIEBIG, éditions Michalon, 2010

 

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Sous ce titre provocateur, l'auteur Etienne Liebig, éducateur spécialisé en Seine Saint-Denis, décoche ce livre comme une flèche... qui transperce tous les poncifs sur le sujet sans épargner personne (même pas les psys !).


On y lit, dans un souffle continu, l'inventaire consternant des idées reçues sur la banlieue (idées répandues du bistrot à l'Elysée), des politiques ineptes (ou sadiques ?), des bonnes intentions toxiques et des plans de rénovation dévastateurs. La saine colère qui anime le propos n'enlève rien à la qualité d'un argumentaire acéré, qui remue tout autant les aspects sociologiques, urbanistiques, culturels, politiques, et même anthropologiques. Les quelques statistiques – officielles – qui ponctuent le texte rappellent que la violence existe ailleurs (même à la campagne, où l'on aime à se fiche sur la gueule après le bal du samedi soir), que le taux d'homicides en France reste un des plus bas du monde, que les phénomènes de gangs, rarissimes, ne sont pas le fait d'adolescents des cités. Que non, ni les imams salafistes, ni les cartels de la drogue, n'y font la loi. Que les jeunes issus des quartiers pauvres et désespérés ont de forts risques de rester pauvres et désespérés eux-mêmes.

 

Sa connaissance fine - et surtout, réelle - du milieu lui permet de tordre le cou avec pragmatisme aux théories universitaires parfois entachées d'un regard littéralement colonialiste et aux postures politiques dont l'inefficacité absolue à résoudre les problèmes finit par éveiller plus qu'un soupçon.

 

Il n'en reste pas moins que les pauvres préfèrent la banlieue ! D'ailleurs comme le rappelle Liebig, pauvreté et banlieue sont deux termes inséparables : parle-t-on de Versailles ou de Saint-Cyr au Mont d'Or quand on emploie le mot « banlieue » ?

Ces gens sont déjà supposés fainéants, drogués, délinquants, usurpateurs de la générosité publique (les fameux « assistés » que l'on conspue au Café du Commerce), aux mœurs douteuses (et forcément « tribales »), à la religion étrange (et forcément « fanatisés » !), dont chaque action est interprétée – dans les ministères et les salles de presse - comme une soumission à des préceptes collectifs, on ne leur prête même plus la faculté de faire des choix individuels, d'avoir un regard critique, chacun, sur leur situation. Pourquoi donc les pauvres se cramponnent-ils à ces zones laides exposées à dose maximale aux pires nuisances engendrées par nos sociétés (bruit, pollution, chômage, délinquance, toxicomanie, urbanisme anarchique, transports en commun anémiques, services publics sous-dotés, commerce local fragilisé ou détruit...) ?

 

Face à ce mur d'évidence, la question finit par se transformer, bien sûr : et si cette relégation obéissait finalement à une volonté politique ? Même lorsqu'elle est mue par des intentions bienveillantes, ce qui est loin d'être toujours le cas, même habillée des prétextes les plus crédibles (ou utilitaires, électoralistes, comme dans l'ancienne « ceinture rouge » francilienne), la création délibérée de frontières étanches entre ces deux mondes que sont les banlieues et... la France,  l'autre, celle des centre-villes et des campagnes, apparaît brutale et insoutenable.

 

Il faudrait être bien aveugle pour nier la construction de cette barrière depuis cinquante ans entre la ville, globalement riche, élégante et permettant une certaine mixité sociale, et la banlieue où se concentrent, à l'exception de tout autre groupe social, les plus démunis, les plus paumés, les moins éduqués, les derniers arrivants culturellement déracinés. Leur accès à la ville se limite aux horaires de leur travail généralement pénible et sous-qualifié : et si c'était eux, la France qui se lève tôt ? L'auteur nous rappelle le rôle politique essentiel – à défaut d'un rôle électoral ! - que revêt cet infra-monde : bouc émissaire commode à toutes nos dérives, ennemi intérieur désigné responsable (c'est bien à cause des banlieues qu'il se vend de la drogue en France, non ?), monde oublié de tous et notamment des partis de gauche (trop pauvres pour être socialistes, trop ternes et trop « normaux » pour attirer l'attention des alterquelquechose) comme des syndicats (les chômeurs ne sont pas syndiqués, et les ados à casquette ne savent pas manifester proprement).

 

La conclusion de cet essai est aussi amère qu'inquiétante : en contribuant à éviter les pires explosions de désespoir, les travailleurs sociaux ne sont-ils pas finalement les auxiliaires involontaires d'une politique qui est suicidaire à l'échelle du pays et à moyen terme ? Comment un pays peut-il durablement se couper d'un morceau de lui-même sans risquer la déflagration ? Autrement dit : il est plus qu'urgent d'abattre ces frontières artificielles, sans cela on ne parviendra pas à recréer une citoyenneté qui rassemble, et permette à chacun de trouver sa place, comme nous le promet, et nous l'a longtemps assuré, le contrat républicain. 

 

 

Bertrand GILOT

 

 

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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 17:48

requin

Modeste par sa mise en forme et sa muséographie, elle ne laisse pas indifférent, l’exposition sur les requins à l’Aquarium de la Porte Dorée…


Sans grand spectacle, on s’étonne de leurs mœurs multiples, tantôt ovipares tantôt vivipares (mais pas mammifères, hein, on reste entre soi), ou devant leur squelette fait non pas d’os mais de cartilages, plus souples, ce qui leur confère des possibilités acrobatiques inégalées.


On se prend à réfléchir devant leur capacité de détection des champs électriques émis par leurs proies… peut-être nos téléphones portables nous protègent-ils de leurs attaques ? J’emmène le mien à la plage cet été ! Mais ils capteront toujours les battements de cœur irréguliers, ou l’odeur d’une seule goutte de sang, à plusieurs centaines de mètres…


On frémit devant la mâchoire fossile d’un de leurs glorieux ancêtres (un bon deux mètres d’ouverture, des dents triangulaires de 15 cm de haut, pour une bête estimée à 20 mètres de long et 20 tonnes. Engin qui aurait pu mettre à mal le tourisme balnéaire mais qui n’a pas trop dérangé nos ancêtres, ayant quitté la scène il y a 2 millions d’années.


On y apprend aussi que ce personnage forcément maléfique qu’est le requin n’en a plus pour très longtemps à terrifier les baigneurs de Floride. Pour certaines espèces, 90% de la population a disparu au cours des dix dernières années. Chouette ? Non, parce la vie océanique est un machin compliqué qui a mis 4 milliards d’années à se mettre en place et à trouver les bons réglages. Et que le requin est en haut d’une chaîne alimentaire, en particulier il mange les poissons carnivores, lesquels mangent les poissons herbivores, lesquels mangent les algues. Qui mangent le corail. Qui abrite d’autres espèces, etc. Sans requin tout cela se déstabilise et au final plus personne ne mange les algues. Et le corail crève.

Selon d’autres sources (greenpeace), 10 % de la flotte de pêche mondiale réalise 80 % des prises totales (ça vient de là, l'expression "pêche industrielle"....). Parmi ces 10 %, deux tiers (parfois beaucoup plus) sont des prises « accidentelles » (non désirées) qui sont rejetées à la mer. Un artefact. Une tâche sur la coque. Un effet secondaire, on dirait en langage médical. Plusieurs millions de tonnes de poissons, 100 millions de requins et de raies, 300 000 cétacés, mais aussi des phoques, des tortures de mer, des centaines de milliers d’albatros (si !) sont ainsi détruits chaque année... Pour rien. Ces chiffres sont d'ores et déjà en baisse. Non parce que la surpêche cupide et aveugle se rationnalise enfin, mais parce que les populations marines sont à bout : elles ne nous supportent plus. J'ignore quand et comment notre espèce aura à payer la facture, mais elle risque d'être salée...

On continue ? Moi, ça commence à m’agacer…

Bertrand Gilot

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4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 10:27

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d7/Stellers_sea_cow.gif(source : wikipedia Commons)


Eh bien non, malgré son nom qui fleure bon la Science triomphante et ses Héros orgueilleux, avec son orthographe improbable et son "découvreur" pressé de graver sa signature (il était d'ailleurs médecin), la "rhytine de Steller" n'est pas une maladie.

Elle serait plutôt un symptôme. Ou même une cicatrice, indélébile, amère, douloureuse, une de plus, de la folle histoire de l'homme blanc, chrétien, occidental, rationnel et outillé.

Ce paisible mammifère marin, gros herbivore, broutait des algues et allaitait ses petits dans les torpeurs silencieusement glacées du Grand Nord. Cet animal et ses ancêtres avaient frayé leur chemin entre de terribles dangers, des maladies mortelles et des prédateurs affutés, au fil de plusieurs millions d'années. La rencontre avec l'homme blanc a eu lieu, très précisément, en 1741.

Le dernier individu a été abattu 27 ans plus tard. C'est pour ça que l'illustration est un dessin et pas une photo, qui n'était pas encore inventée. Qui étaient les explorateurs, les savants, les esprits éclairés qui ont sorti la rhytine de sa tranquillité ? Qui étaient les marins, pêcheurs, chasseurs qui l'ont tuée ? C'étaient des gens qui partagent les mêmes valeurs,  les mêmes principe de vie, les mêmes buts, au fond, que toi, que moi, que nous tous ! Pour quelles raisons pratiques a-t-on effacé cet animal de la surface de la vie ? Parce que "sa graisse faisait une excellente huile de lampe", qui a éclairé les cambuses de quelques matelots (pendant 27 ans... ) et aussi, pour l'éphémère prospérité d'une poignée de marchands de fourrure. La rhytine leur aura payé des beaux habits et puis aussi une belle maison, et permis de faire de beaux cadeaux à leurs enfants. Pendant 27 ans. Et puis hop, c'est fini. Tout, ou presque : la maison, les habits, les jouets. Et la rhytine. Il reste encore, peut-être, les enfants des enfants des chasseurs...

Et dire que depuis l'enfance on nous vend l'intelligence comme la capacité technique d'inventer des bulldozers auxquels aucune forêt ne résiste, de construire des brise-glaces qui réduisent les pôles à une banlieue lointaine,  d'imaginer des armes à visée laser, des abattoirs "propres" - on en a même fait pour les humains, et d'ailleurs par humanité, c'est pour dire... L'intelligence serait donc la capacité d'augmenter la rentabilité de toute chose. L'intelligence voudrait donc que  d'une main, l'on essore notre milieu naturel jusqu'à la dernière molécule tandis que  de l'autre, on jette aux poubelles de l'Univers des morceaux de vie par paquets, des biotopes, des espèces, des embranchements entiers de la faune et de la flore. Qu'est-ce qui est intelligent ? Qu'est-ce  qui est urgent ? Qu'est ce qui est rentable à long terme ? Fabriquer du maïs qui a le goût de tomate et qui contient de la pénicilline, ou bien tenter de ne pas tuer tous les primates (pour mettre de l'huile de palme dans nos chocos BN...), tous les éléphants (pour faire pousser des haricots verts au Kenya...) et tous les mammifères marins (parce que les filets de pêche sont un peu gros et puis les dauphins attrapés par mégarde, on ne les met pas dans le surimi, alors...) ?

On nous assure avec les meilleures intentions - et les plus sincères - que l'unique salut est de "repousser les frontières" alors qu'on ne fait semble-t-il que courir, toujours plus vite, vers celle de notre propre finitude... J'ai parfois l'impression de marcher, déjà, sur la Route que nous raconte affreusement Cormac McCarthy... Tout est si vain. Tout est si fragile. Tout est si précieux.

Vingt sept ans, entre la planche du naturaliste et la nuit éternelle de l'oubli, c'est  une sorte de record... Pour les Indiens d'Amérique ça a été un peu plus long. Mais on a aujourd'hui les moyens de faire mieux, c'est évident. Plus rapide. Plus rentable. Plus humain.

Le beau film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud n'est pas que sombre, loin de là, mais sans mauvais jeu de mot ses images puissantes et son discours minimaliste invitent à de nécessaires réflexions en profondeur... Si vous avez cinq minutes, éteignez votre iphone, oubliez votre lecteur de DVD et allez donc le voir sur un vrai grand écran.

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Bertrand Gilot
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25 janvier 2010 1 25 /01 /janvier /2010 23:47

http://www.mikecs.net/prodigeek/images/7greatestalieninvasions_AA8E/mars_attacks.jpg

Fait exceptionnel, un specimen d’humanoïde extra-terrestre vient d’être identifié formellement, et cela en plein cœur de Paris. Il avait été aperçu sur le campus d’HEC il y a une quarantaine d’années en compagnie de plusieurs de ses semblables, selon certains témoins. Son arrivée sur Terre dans un nuage de lumière scintillante, tandis que résonnaient des trompettes au plus haut des cieux, avait fait évoquer un instant sa nature divine, avant que des scientifiques ne démentent cette information.

Longtemps passé inaperçu car terne et ennuyeux avec ses mocassins et sa cravate, il a su s’infiltrer au plus haut des rouages de la société Terrienne, avant de se démasquer bêtement alors que sa carrière approchait de son terme et qu’il allait enfin pouvoir ramener chez lui de précieux échantillons représentatifs de notre biodiversité (des actions, de l’or, des montres Rolex®… ). Malgré les signaux que lui envoyaient ses amis (des Terriens du réseau R-HEC-SF et aussi d’autres extra-terrestres descendus du même vaisseau que lui), ce specimen a persévéré dans l’erreur qui l’a mené à sa perte, signe qu’en dépit d’une parfaite ressemblance physique, l’acclimatation sur notre Terre de ce genre d’êtres surnaturels n’est jamais définitivement acquise.

Ainsi Henri Proglio – c’est son nom – questionné par les médias, a continué d’affirmer qu’il était NOR-MAL de gagner en un an ce que gagnent 170 smicards. Ca encore, on s’en fout, on nous a toujours dit que les smicards, hein, ils n’avaient qu’à mieux travailler à l’école quand ils étaient petits, ou venir tenir la caisse du Franprix le dimanche pour être mieux que smicards.

Non par contre, ce qui est choquant c’est qu’il gagne autant que 40 professeurs d’université ou encore 30 médecins (selon les estimations de mon amie la CARMF). Et ce qui est encore plus emmerdant, mais alors vraiment, c’est qu’en plus toute l’oligarchie vienne nous expliquer au micro que c’est NOR-MAL et que si l’on veut de l’excellence dans le business, c’est le tarif NOR-MAL et qu’en plus, c’est un type vachement bien, sérieux dans son boulot et tout, et qu’il assume des responsabilités tellement importantes que si il met son entreprise dans le mur et qu’il licencie 40000 personnes, il risque de perdre une partie de son bonus, c’est pour dire à quel point c’est LE type qui en a plein le pantalon, le super-aventurier du goût du risque qui se mouille par pur désintéressement, par pure gentillesse, juste pour nous. L'argument qui tue ? Un gars passionné par l'intérêt général, ça se paye ! Quand je vois la chance qu'on a, je me dis que pour ma prochaine facture EDF je rajouterai un petit chèque de soutien, en plus du TIP. On l'a fait pour Haïti, on peut bien le faire pour soutenir l'intégration des extraterrestres, non ?

 

Par contre le reste des humains, qui eux n’en ont rien à fichtre de l’excellence et se complaisent à se vautrer en ricanant dans une médiocrité dégoûtante sans se sentir responsables de quoi que ce soit (comme les professeurs d’université, ou les médecins, les commissaires de police, les pompiers…), a compris que ça pose un problème. Par contre les gens qui travaillent à leur compte, ceux qui exposent leur famille aux crocs des huissiers à la moindre appendicite, eux, ont compris que ça pose un problème.

L’extra-terrestre, lui, nous montre sa vraie nature en expliquant qu’il n’a rien compris, enfin vaguement il dit que c’est simplement à cause de la crise, il renonce à un pourboire annuel qui est le prix du domicile de beaucoup de gens, preuve que tout est NOR-MAL. Alors il fanfaronne et s’en va s’endormir en feuilletant quelques pages d’un excellent ouvrage sur le darwinisme social. Attention tout de même : le darwinisme implique que les gloutons repus  eux-mêmes finissent par attirer dangereusement toutes sortes de prédateurs.

 

BG


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