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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 11:11
 14 janvier 2010

Signe des temps, c’est l’actualité judiciaire qui nous apporte très belle illustration de ce que je disais à propos du combat opposant le principe de précaution et les intérêts privés, je veux dire le « vrai » principe de précaution, celui qui prône une gestion des risques émergents favorable aux « vrais gens » (ni politiciens, ni actionnaires, ni corrompus). Une fédération de producteurs de raisin (FNPRT) réclame devant le Tribunal de Paris la somme écrasante de 500000 euros au MDRGF, une association écolo, pour avoir, accrochez-vous, rendu publiques des données scientifiques sur la teneur en pesticide du raisin de table… En l’occurrence ils prennent la peine de préciser qu’ils n’attaquent pas l’étude elle-même, mais la présentation qui en est faite. Autrement dit : étudiez ce que vous voulez, mais ne le faites pas savoir au public. Pour rigoler un coup on y apprend que certes le raisin produit en France « respecte les normes » (c’est à dire des seuils de dosage dont la pertinence est incertaine, sachant la toxicité des produits en cause… ) mais aussi qu’une partie des raisins produits en UE contient des produits qui y sont pourtant interdits (pour leur dangerosité), raisins qui eux, sont bel et bien vendus en France. Mais chut, ne le dites pas trop fort, cela pourrait amener les producteurs à de meilleures pratiques… il paraît qu’on manque de producteurs de bio en France, ne vous bousculez pas les gars, on ne vas pas mettre en péril pour de bêtes raisons de santé les bienfaiteurs de l'humanité qui vendent ces tristes soupes agrochimiques. Un tiers des pesticides utilisés en France serait destinés aux vignes, d’ores et déjà. On nous assure que c’est un mal nécessaire, il n’empêche que la France absorbe un tiers des pesticides consommés en Europe (selon une dépêche AFP citée ici). N'allez pas déranger le Ministère de la Santé pour ça, ils sont occupés à gérer la fin de la non-grippe.


Tout cela n’est pas sans rappeler le procès intenté par les producteurs de sel au chercheur de l’INSERM Pierre Meneton pour avoir attiré l’attention sur les dangers de l’excès de sel dans l’alimentation (procès perdu au printemps 2008)


Pour l’instant (il y a d’autres exemples, voir les affaires d’antennes-relais de téléphonie mobile) la justice semble donner plutôt raison aux défenseurs de l’intérêt général qu’à leurs adversaires. Mais cela reste un danger permanent, et un frein notable, pour des associations fragiles ou des particuliers qui n’ont pas forcément les moyens d’entretenir une armée d’avocats spécialisés. Aussi même si les procès sont pour l’instant perdus, la méthode est troublante et pour tout dire nauséabonde, qui consiste à assigner quiconque pense différemment de vous et vous renvoie à vos responsabilités. Le minimum exigible d'une démocratie moderne serait  que l'on sorte enfin de ce type de rapport de forces.

En attendant que l'on invente - et applique - de nouvelles solutions, verdict le 10 Février.


BG


Plus d’infos et de références ici :

http://news.doctissimo.fr/pesticides-les-producteurs-de-raisin-attaquent-en-justice-le-mdrgf_article6396.html

 

MISE A JOUR 22/02/2010 : c'est les méchants qui ont perdu !!!
à lire dans le détail c'est assez rigolo, pour la forme...

BG
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7 janvier 2010 4 07 /01 /janvier /2010 13:33

 


Bon c’est fait.

Noël.

On apprend fin 2009, ou plus exactement on diffuse l’info à très large échelle, selon laquelle notre sympathique pépère ramoneur / distributeur de cadeaux aux enfants sages, désormais appelé Santa Claus jusqu’au fond de la Creuse (Tino Rossi reviens ! ils sont devenus fous !) a été en réalité habillé à des fins publicitaires aux couleurs de Coca-Cola®, que son antique tradition remonte en fait à quelques décennies, et que, tant qu’on y pense, la tradition n’exigeait nullement comme une nécessité absolue de faire des cadeaux médiocres mais coûteux à des tas de gens que l’on apprécie pas forcément.

Ca tombe bien les couleurs de Coca-Cola®, parce que tout cela laisse un fort goût de MacDo® : adulte ou enfant, on est toujours vaguement excité à l’idée d’y aller manger (avec des raisons différentes selon l’âge, mais toujours plus ou moins transgressives…), il faut faire la queue au pire moment, on piaffe jusqu’à l’assaut final, on se jette sur des emballages que l’on déchiquette frénétiquement, on mange trop et mal, on sort repu certes mais carencé et le désir réapparaît à peine satisfait. Comme une excuse à ce trop bref plaisir on repartira avec dans les bras un cadeau en plastique chimique fabriqué en Chine par des enfants sans école ni salaire (tristes lutins...), dont on se lassera au bout de dix minutes chrono et dont la destination sera plus probablement la benne que la postérité (on parie ? allez chiche, tu me les ressors en 2017, le cadre photo numérique et la montre-podomètre et le pull en laine de pétrole et l’intégrale DVD du championnat de Ligue 1 ?).

Heureusement il reste une leçon de pédagogie universelle pour les plus jeunes : chaque enfant de nos pays occidentaux, chaque Noël, est invité à se féliciter du meurtre d’un jeune épicéa.

 

Belle métaphore...


Je vous laisse, il faut que j’aille enlever les guirlandes…

Bertrand Gilot

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7 janvier 2010 4 07 /01 /janvier /2010 11:03


Rappelez-vous : l’an dernier à la même époque, il ne se passait pas une semaine sans que les caméras de télévisions, les marchands de tabloïds et les présidents de la République Nationale ne montent au créneau pour fustiger les « fous qu’on laisse traîner dans la rue », les « dangereux malades mentaux » que des psychiatres vaguement complices abandonnaient, par angélisme naïf, à leurs pulsions meurtrières. Chaque fois qu’un malade rentrait en retard d’une permission de sortie, on sortait les hélicoptères et on placardait des avis de recherche. Et encore, il fallait qu’elles existent, ces autorisations de sortie, accordées désormais au compte-goutte par des préfets au garde-à-vous, freinant ainsi les projets de meilleure insertion dans la société pour des tas de gens. Chaque drame appelait son lot de photographes pour mieux immortaliser les taches de sang sur l’asphalte, et les familles en larmes étaient reçues dans le crépitement des flashs à l’Elysée. Chacun des faits était immédiatement suivi d’une annonce tonitruante de réforme plus ou moins intolérable, comme celle prévoyant de juger les fous, au mépris des principes fondamentaux de la Justice et des évolutions majeures qui jalonnent la psychiatrie depuis deux cent ans, ou encore les troublantes propositions de "géolocalisation"...

Tout ça, c’est fini.

La semaine dernière près de Nice un type gravement malade de la tête a poignardé un ancien voisin, probablement au cours d’un état délirant paranoïde d’après les éléments que l’on rapporte. Il ne s’agit pas vraiment d’une surprise, il avait déjà eu ce type de gestes il y a quelques années, et en dépit d’allusions répétées à son délire agressif, bénéficiait de sorties régulières de l’hôpital, au cours desquelles il promenait son étrangeté menaçante dans son ancien quartier. Les quelques éléments qui filtrent dans les médias laissent penser que la tragédie était imaginable, et donc évitable. Ainsi la victime, concierge de la résidence, avait même récemment écrit pour signaler ses craintes. Sans attaquer outrageusement les collègues, on peut légitimement évoquer l’hypothèse qu’il y ait eu un gros dysfonctionnement et que ce malade, à ce moment précis de sa pathologie, n’avait pas grand chose à faire en ville...

Et bien ? Et bien rien.

Pas de caméra (enfin, à peine), pas de président de la République éructant d’une vraie-fausse colère calibrée, pas de préfet muté, pas de directeur d’hôpital humilié, pas de psychiatre condamné à l’autocritique en place publique, pas d’infirmiers psychiatriques piétinés par la Troupe Gouvernementale, pas de reprise en boucle par les médias pendant des semaines et des semaines. Le fait divers est revenu à sa vraie place, à son juste prix, il est même en quelque sorte, en promotion. Le drame, les drames, celui de la victime et celui de l’assassin fou (et celui de l’équipe soignante mortifiée, peut-on supposer…), ont repris leur vraie dimension : individuelle, et dans une certaine mesure, silencieux.

Alors on est bien obligé de constater que l’agitation de l’an dernier était une bulle spéculative politico-médiatique, et qu’elle est aujourd’hui dégonflée, démonétisée. Cela ne rapporte plus, on jette. Le cirque est parti. Aujourd’hui le malade mental ne menace plus la quiétude et l'unité de la France Nationale. Il a disparu, comme ont disparu avant lui les syndicalistes, les violeurs récidivistes, les bandes violentes, les fainéants, les journalistes, les juges, Dominique de Villepin, les enseignants, et les traders…bientôt rejoints par les brûleurs de voiture, comme on a pu voir au premier de l'An.

Aujourd’hui l’ennemi de notre Démocratie de Comptoir Nationale, celui que la patrie nous appelle à épier et combattre, c’est le jeune de banlieue, pourvu qu’il soit musulman et porte sa casquette à l’envers, c’est le père de famille Afghan fuyant la guerre, c’est le descendant d’immigré à la dix-huitième génération qui ne sait pas chanter la Marseillaise et le demandeur d’asile qui peine à lire Montesquieu. Bref si vous êtes malade, mental, que avez un meurtre à commettre mais que vous ne tenez pas particulièrement à passer à la télé : c’est le moment d’en profiter !


Bertrand Gilot


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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 23:52

Les drains, les ligaments inter-vertébraux et la flore bactérienne de Johnny Halliday ont monopolisé très naturellement depuis une dizaine de jours l’intégralité des médias grand public, reléguant aux oubliettes les banalités du quotidien (sommet de Copenhague, protestation des surveillants de prison et manif de policiers – si, si, cherchez bien dans les archives des news - expulsion vraisemblablement illégale d’une nouvelle charrette d’Afghans vers leur pays dévasté, découverte d’une nouvelle fratrie de bébés congelés, meurtres en pleine rue en banlieue lyonnaise et en plein Paris…). Je ne vous referais donc pas le topo sur les opérations et complications subies par le chanteur.

Je vous rassure tout de suite :  au fond, peu me chaut de savoir si le « chirurgien des stars » s’est gratté le nez avec ses gants stériles pendant l’opération. Vu côté médical il avait de toutes façons déjà montré son talent. Quoi ? Laisse, t’es trop jeune, c’est une vieille histoire. Et puis comme le dit si justement Patrick De Funès dans son livre Médecin malgré moi, la compétence des médecins est très souvent inverse à leur renommée (donc à leur narcissime, serais-je tenté de compléter ?). 

Par contre, on me dit en coulisse qu’un professeur de chirurgie orthopédique de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris s’est déplacé soi-même en personne à Los Angeles UNIQUEMENT pour prescrire un arrêt de travail à notre évadé fiscal. Enfin bon, pas vraiment pour prescrire un AT, mais pour dire si oui ou si non, Johnny pourra faire des loopings en patins à roulettes d’ici la fin de la semaine, après un voyage retour en Harley Davidson sur la route 66 et traversée océanique en jet-ski. Le professeur en question, il a donc fait un aller-retour Paris – L.A. en avion, rencontré la star, signé un papier, et retour. Tout laisse penser qu’il a donc manqué à son activité de PH (médecin hospitalier temps plein, assimilé fonctionnaire, qui plus est chef de service) durant trois ou quatre jours uniquement pour voir un patient « privé » ou, plus vraisemblablement, pour donner son avis à une compagnie d’assurance qui veut savoir si oui ou merdre, il commencera samedi soir sa tournée de 250 concerts sur six mois avec un jour de repos par mois. Voire peut-être, s'il on peut commencer à presser les DVD posthumes ? Bref peu importe (encore que) qui et combien on le paye pour faire ça, mais il faut quand même dire qu’on nage désormais dans le surnaturel : si l’existence de médecins compétents est une certitude à Vilnius, c’est une imposante évidence qu’à Los Angeles il existe des collègues capables d’évaluer une convalescence, prescrire des antibios et installer convenablement un malade dans un avion.

Bref ayant tenté trop tardivement de me positionner sur le marché Michael Jackson, j'affirme cette fois-ci du vivant de l'artiste que SANS BOUGER DE MON BUREAU, et en quelques secondes seulement, pour une somme modique et avec un bilan carbone très raisonnable, j’aurais pu donner la même réponse que mon collègue aéroporté. Pourquoi ? Parce que le cousin du fils du mari de ma voisine, il s’est fait opérer du dos l’année dernière, et ben même sans staphylocoque dans la suture, il avait pas pu danser au bal du village pendant un bon moment…

Dr Bertrand GILOT,

ouvert à toutes propositions...

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17 décembre 2009 4 17 /12 /décembre /2009 23:02
 

Paris, 1er mai 2002


Le visage blafard, blanchis même, les cheveux sales, les vêtements trop vieux, ils avançaient serrant dans leurs bras une pauvre vieille valise élimée - tout ce qu’ils avaient pu sauver, sans doute. Sept, huit ils devaient être. Un peu hagards, inquiets, leurs yeux cherchaient devant, derrière eux, partout la menace tapie dans la foule, qui les guettait qui sait à travers les volets clos et les rideaux aux fenêtres du boulevard. Tous ils marchaient plus vite que nous, traversaient la masse. Tous nous dépassaient de haut, adroits malgré la longue errance affichée, volant plus hauts d’un homme flottants sur leurs échasses. Elle en tête, elle nous survolait aussi, et plus encore. Agitant magistralement de ses bras maigres le sinistre signe, le présage horrible, elle nous a glacé le sang et les os. Ondulant lentement devant elle, le drapeau, le très immense drapeau planait de gris, de blanc, de noir au dessus de nos têtes. Version décolorisée de notre emblème, inédite et subtilement monstrueuse évoquant pire encore, pire qu’un discours, pire qu’un documentaire du siècle dernier, pire qu’un train de marchandises, pire qu’un ancien préfet de police, pire qu’un Reichstag en feu. Pire qu’inoubliable parce que toujours possible, toujours et partout.


Les comédiens anonymes à échasses nous ont dépassé dans le cortège des manifestants, laissant comme un sillage de frisson derrière eux, j’y pense encore.


J’avais failli ne pas aller manifester, confiant dans les choses et pensant aussi qu’on ne doit pas protester contre un résultat d’élection. Ce drapeau malade flottant sur une foule qui avait, elle, conservé ses couleurs, son mélange lui aussi toujours possible, et même sa voix et son sourire, m’a fait l’effet d’un souffle. Un souffle qui fait osciller doucement chaque plateau de la balance.


Votez le 5 mai. Un souffle, rien qu’un souffle…


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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 22:42
Toutes les réféfences ici.

Une fois le délai de lecture publique gratuite expiré (encore une semaine !) je verrai si je peux mettre le texte entier sur le blog...

BG
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11 novembre 2009 3 11 /11 /novembre /2009 00:00

[© photos de l'auteur, ne pas utiliser sans autorisation, merci]

J’ai fait Verdun. C’était l’an dernier, quatre vingt-dix ans après que, selon la formule consacrée, les armes se soient tues. Quelques mois plus tôt, la nécessité d'aller mesurer physiquement l’absurdité des événements et des lieux m'était apparue impérative, en arrêtant ma moto devant le monument commémorant Charles Péguy : celui-ci était mort, assez fièrement paraît-il "pour la France", en 1914, dix jours  après le début de la guerre et à 40 km de Paris. Il y a eu ce besoin d’aller voir en grandeur réelle ce que cachait le mot « Verdun ». Chercher à lire dans les cicatrices géographiques ne serait-ce qu’un tout petit peu de ce qu'avaient éprouvé les poilus débarqués des trains de la Gare de l’Est. Il y a sans doute surtout un lointain écho du Long Dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, et des questionnements identitaires, familiaux et culturels que ce film avait réveillé : on a tous un arrière grand-père qui a vécu quelques semaines là-bas - ou dans des lieux équivalents, et dont on sait si peu de choses... Après quelques lectures, Barbusse, Dorgelès, Genevoix, les Lettres de Poilus, mais aussi Tardi ou Pierre Miquel, on peut bien aller rendre une sorte de modeste hommage à tous ces gens qui furent massacrés, au propre ou au figuré, sans trop comprendre pourquoi. A ces souffrances dénuées de toute signification. A ce que cela nous dit de la nature humaine.



Attention, c’est dangereux : la visite ne laisse pas indemne, encore aujourd’hui. La ville de Verdun elle-même est douloureuse, elle semble éteinte, exsangue, on a peur de la déranger. Histoire d’en rajouter pour l’ambiance, des types se battaient dans les ruelles désertes à la nuit tombée, complètement ivres, sous la pluie froide. Il y a bien une tentative pour rendre à la cité un lustre touristique, à insister sur l’autre passé, celui du Moyen-Age, mais ça ne prend pas, les petits pavés et les panneaux explicatifs, on n’arrive pas à s’intéresser, c’est comme évoquer un rhume du grand-père alors qu’on va à son enterrement.

Alors on visite les lieux didactiques inévitables, au demeurant plutôt bien faits, et puis l’on plonge dans les sombres forêts qui monopolisent les collines environnantes. Ces lieux parfaitement anodins, coins de campagne bucoliques, bosquets dérisoires, furent déclarés forteresses inestimables sous la décision orgueilleuse et incompétente des états-majors des deux camps. Cela coûta trois cent mille morts - et autant de blessés - en quelques mois. Le simple fait qu’à l’heure actuelle une forêt aussi dense entoure une ville de cette taille dans toutes les directions est déjà suspect. Faisons la tournée des lieux dont la puissance d’aspiration vers la mort a frappé les esprits, ces portes de l’enfer que furent la « cote 304 », Vaux, Douaumont, le « Mort-Homme » (farce de la toponymie, ce nom de lieu-dit datait de bien avant la guerre…), ou la butte de Vauquois spectaculairement éventrée par les mines.

Dans la proche campagne déjà, on sent la terre menaçante. Elle est sale, dangereuse, chargée jusqu’à dix ou quinze mètres de profondeur par des trucs chimiques, toxiques, explosifs, des millions de tonnes de métaux, de poudres diverses, au point que l’on en a fait une « zone rouge » incultivable, inexploitable, interdite à peu près à toute activité humaine. Les munitions non éclatées sont de plus en plus dangereuses chaque année, à mesure que rouillent et se dégradent les mécaniques décidant du déclenchement des charges. Ainsi, on peut encore mourir sans gloire d’un éclat d’obus à Verdun en 2009, comme il arrive quelquefois à des chercheurs de merveilles vendables sur eBay. L’armée, philosophe, y a établi des champs de tirs qui semblent nous dire : « après tout, n’est-ce pas… ? ». Quelques rares et maigres champs de céréales ça et là, ne mettent pas très à l’aise, il vaut mieux ne pas trop y réfléchir. Ils faut bien nourrir les hommes d’aujourd’hui.



La forêt, massivement replantée dans les années 1920 sur le sol lunaire laissé par les combats, soulève une impression proprement effrayante, une lourde nausée. Les arbres y poussent sur un moutonnement ininterrompu de cratères d'obus, houle immobile à peine barrée par le trait étrangement net des quelques routes asphaltées. Ils sont anormalement irréguliers, on en voit de toutes tailles, tantôts raides et puissants, tantôt malingres, tordus, bizarres. Les racines des conifères s’alimentent d’un certain nombre de choses auxquelles on fait aussi bien de ne pas penser. Etrangement, d'instinct, on n’a aucune envie de sortir des sentiers balisés. On tient la main des enfants. A quelques mètres de la voiture, on est enrobé d'une peur humide, une alarme retentit au fond de soi prévenant d’un danger réel. Partons. Le jour baisse déjà, mais surtout il y a ce bruit rauque, inhabituel que fait le vent dans les cîmes, zonzonnant à travers les écorces épaisses et disjointes qui laissent entrevoir d’inquiétantes obscurités dans le tronc de ces mélèzes funéraires. Longtemps, je ne pourrai plus regarder une forêt de la même manière. Les croix alignées à perte de vue de Douaumont, les caves immenses et pleines des ossuaires, nous rappellent qu'elles ne sont en rien exhaustives : les cent mille « disparus » (cent mille...) de la bataille de Verdun dorment encore ici, éparpillés, fantômes sans croix ni plaque oubliés en dessous de cette forêt. Pour certains d’entre eux, soupçonnés de désertion, cette mort non certifiée avait valu la honte – et la ruine - de toute une famille.

Fleury-devant-Douamont (au fond, la mairie)

La douzaine de villages détruits qui parsèment ce paysage mélancolique, par leur béance absolue, sont en creux les vestiges de la fin de quelque chose. Comment y vivait-on, dans ces fermes, comment étudiait-on dans ces écoles, comment se mariait-on dans ces mairies, que priait-on dans ces églises ? Image terrible d’un monde rural qui ne s’est jamais relevé de cette guerre. Les villages pas détruits, eux, portent la mémoire des « cantonnements », ces étranges intermèdes où pendant quelques jours, à portée du bruit des canons mais à l’abri de leurs éclats meurtriers, on avait le droit de s’enlever la vermine entre les orteils, d’acheter des verres d’eau aux rares paysans restés sur place, et de négocier à prix d’or divers trésors (tabac, chaussettes, charcuterie…), entre deux lettres mélancoliques adressées à ceux restés sur l’autre rive du Styx, à Paris, à Pau ou à Quimper. Dans tous ces lieux règne ce calme silencieux, le même que décrivaient les poilus en permission à l'arrière - ou lors des rares trêves de l’artillerie. Ce calme si étrange et pourtant tellement normal. C’est cela le traumatisme : c’est l’après. C’est l’irréalité absolue, indécente, énorme, du silence et du retour à la normale, retour aussi soudain et inexplicable qu’avait été le basculement vers l’horreur. Alors, c’était juste ça ? il y a du vacarme, des types qui meurent déchiquetés, et puis, plus rien, le silence, de nouveau les oiseaux qui volent, le blé qui pousse dans les champs, la fête du village. C’est dans l’après qu’il faut, qu’il aurait fallu, aider ces gens. Mais bon en 1918 on a fait comme d’habitude, et comme on refera en 1945 : on leur a vite demandé de taire leurs insoutenables récits, de faire bonne figure, et de cacher si possible leur mauvais penchant pour le pinard. Ca arrangerait bien, s’ils pouvaient se tenir tranquille, maintenant, et se remettre au boulot sans trop se plaindre, parce qu’on ne peut pas passer sa vie à faire des trous dans des Allemands au couteau de boucher. Ni à le raconter aux gosses. La société les a gentiment invité à se taire, et s’est vite mise à danser le charleston, histoire de prendre des forces pour la prochaine fois.

Je me suis dit en rentrant de Verdun que ça n’avait pas du être facile pour tous ces gens.

Cette guerre marque l’infinie fracture entre les combattants et l’arrière : l’incommunicabilité de l’expérience traumatique vécue scelle la frontière, généralement figée jusqu’à la mort des « anciens combattants ». Ceux qu’on a si souvent trouvés dérangeants plus tard, parfois violemment, lorsqu'il a fallu signer un deuxième armistice à Rethondes et remettre en selle le "vainqueur de Verdun". Surtout, le dialogue assassin entre l’homme et la machine y a été organisé pour la première fois à cette échelle, sans guère laisser de doute sur le vainqueur. Il s’en est pourtant trouvé, des colonels, pour planifier des assauts de fantassins en gabardine face à des mitrailleuses. La mécanisation de la mort, l’industrialisation, installe la distance psychique qui permet de réaliser un carnage à la fois efficace et, dans une certaine mesure, déculpabilisé. Entre le canon de 75 qui fragmente son bonhomme à trois kilomètres et le bouton rouge qui tue 500000 personnes à l’autre bout du monde, la différence n’est que quantitative, l'essentiel du chemin est déjà parcouru. Dans la société, la blessure s’est aussi infectée du fait de l’isolement des sacrifiés face aux autres, à ceux qui étaient dispensés de l’abomination, pour des bonnes et des moins bonnes raisons : les embusqués, les vieux, les enfants, les femmes. Quand on est mort « au champ d’honneur », ça évite au moins la douleur de retrouver un lit froid, un héritage déjà partagé, ou un concurrent professionnel installé dans son fauteuil juste parce que ses parents étaient de meilleure naissance.

Le recul permis par le siècle presque écoulé montre que cette guerre a affirmé pour la première fois avec autant d’évidence, qu’entre les intérêts économiques et la vie, il n’y a pas de choix à faire : s’il devient rentable de tuer des millions de gens, on le fera. Et on l’a fait. Et on a recommencé vingt ans plus tard, et on n’a jamais vraiment cessé. La France ensanglantée à Verdun tire aujourd’hui une bonne part de sa prospérité de la vente d’armes au monde entier. On a intérêt à ce qu’il y ait la guerre. Le critère de rentabilité n’a fait que prendre du poids. Les acteurs de l’industrie, et de son moteur aveugle qu’est une certaine forme de capitalisme, n’avaient que faire des morts de Verdun. On ne les sent pas trop affectés non plus par les morts de Bohpal, de l’amiante, d'AZF ou du Vioxx… Alors quand il s’agit d’épargner des baleines, des orangs-outans, des arbres millénaires ou même un équilibre climatique, peut-être que l’on ne devrait pas trop en attendre.

On peut se demander enfin quelles leçons l’humanité a tiré de cette expérience, initiée rappelons-le par les deux pays qui étaient à l'époque les plus  cultivés, les plus "civilisés" au monde. Collectivement, aucune ou presque, comme d’habitude : le patriotisme fait toujours autant de dégâts (cf. ce qui vient de s’achever dans les Balkans…), la mécanisation et la déshumanisation de l’acte de guerre ne font que s’aggraver (missiles intercontinentaux, drones, bombes à sous-munitions…), l’asservissement de l’homme comme chair à canon face à des intérêts économiques n’a nullement faibli (Darfour, Tibet…). S’il existe une maigre lueur d’espoir cependant, je ne la vois peut-être pas collective, mais individuelle. Parce qu’individuellement, à l’intérieur de chaque citoyen des pays ayant combattu, il reste une cicatrice, le plus souvent invisible et inconsciente mais bien présente. Il reste la trace d’un ancêtre au souvenir effacé que plus personne ne sait reconnaître sur les photos jaunies. Un ancêtre revenu de la guerre alcoolique ou joueur, devenu intolérant et violent, ou déprimé et passif, ou inaccessible, enfermé en lui-même. Un homme de ving-deux ans ou trente peut-être, à la fin de la guerre, revenu présent mais si différent. Ou un ancêtre mort dont l’absence a déstabilisé une famille, contraint une épouse à accepter un travail pénible, interdit l’épanouissement à toute une fratrie, contrarié mille projets dans ce qu’avait été son petit monde. Un ancêtre revenu impotent et pensionné, qui a entraîné son entourage à déménager en ville, plus près d’un hôpital, ou trop près de parents avec qui l’on était fâché. Un ancêtre à la figure démontée par les ferrailles, dont on a eu honte, et que l’on a caché des années durant au prix d’une culpabilité infinie. Combien de destins ainsi impactés, déformés, malades ? Des millions.

Peut-être il n’y a que ces traces infimes qui nous invitent à, tout de même, faire un peu attention à la suite… Si aujourd’hui les peuples Français et Allemands sont amis, on le doit sans doute la sagesse des dirigeants de l’après deuxième guerre mondiale, mais n’y a-t-il pas aussi la maturation lente d’un processus de cicatrisation post-traumatique démarré après 1918 ?


Bertrand GILOT
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6 novembre 2009 5 06 /11 /novembre /2009 00:06

Bon alors voilà toute une corporation qui depuis des années, et face à des prédateurs les plus féroces, s'échine à défendre le subjectif-mais-réfléchi, l'empirique-mais-rigoureux, le non-évaluable-mais-pertinent, l'humain-souffrant-mais-debout (enfin, pas chez les analystes, mais c'est que le temps de la séance), et
voilà qu'en plein débat une bagnole déboule et écrase tout sous ses roues enduites de marketing !? Est-ce une énième attaque tordue de la sciento ? une pré-campagne masquée pour "fluidifier" les réformes à venir ? Une outrance agressive des chimiatres fondamentalistes ? Pour l'instant nul ne peut le dire...


Par chance, vu le prix auquel est vendu l'objet transitionnel en question, la concurrence ne devrait pas être trop rude pour les psys, d'autant qu'on n'a encore annoncé aucune prime à la casse pour les vieux modèles déglingués...

De fait, rares sont les patients qui ont renoncé à leur rendez-vous depuis la pose de cette affiche en bas de mon bureau. Mais je me demande  quand même si je ne devrais pas descendre péter ce panneau à coups de masse...



BG
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22 octobre 2009 4 22 /10 /octobre /2009 11:23

 


Cela ne vous aura pas échappé, depuis hier la France respire mieux, le soulagement est manifeste depuis cette glorieuse victoire de nos forces : on a renvoyé dans leur pays ravagé depuis trente ans par la guerre (d’occupation puis civile), l’intégrisme religieux militarisé, la corruption et la production d’opium, une poignée de clandestins Afghans. C’était une forte priorité évidemment, et l’on est bien content que les urgences soient enfin traitées comme elles le doivent.


Car chacun l’avait remarqué, depuis que ces effrontés avaient tenté d’envahir notre riante modernité décomplexée sans se donner la peine d’en satisfaire les menues formalités d’accès, la France allait de catastrophe en catastrophe. La délinquance ne faisait qu’augmenter sous la pression des Afghans, agressions, cambriolages, voitures incendiées, sans même parler des incivilités dans les transports en commun. Les déficits publics ne faisaient que s’aggraver, en raison des dépenses collectives induites par les Afghans (certains de ces profiteurs allaient jusqu’à inscrire leurs enfants dans nos écoles !), mettant notre économie dans une situation dramatique (on reste le quatrième pays le plus riche du monde, cependant). D’autres n’hésitaient pas à tomber malades sur notre territoire, aggravant notablement le trou de la Sécurité Sociale - les médecins partageant il est vrai une part de responsabilité avec les Afghans (que ne les renvoie-t-on pas dans leur pays, ceux-là aussi !). Le chômage devenait endémique, les Afghans ayant trusté les meilleures places du marché de l’emploi. Gaspillant sans vergogne nos richesses naturelles et consommant sans les apprécier les meilleurs produits de notre industrie, les Afghans alourdissaient notre bilan énergétique et leur impact environnemental devenait préoccupant. Enfin, on sait tout le mal qu’ont fait au système bancaire les extravagants bonus et parachutes dorés que s’auto-administraient les traders Afghans infiltrés au plus haut niveau des banques françaises.


Enfin, tout cela est définitivement terminé, c’est du passé, fort heureusement révolu, et l’histoire le prouvera bien vite : on est certains de voir la France se redresser dans les mois qui viennent, libérée de ce fardeau  ! Et puis cette fois-ci, on les a renvoyés en charter, hein, pas question de les embarquer en classe affaire comme ils avaient fait le voyage aller (enfin, je suppose). Fini le champagne et les petits-fours ! L’abolition des privilèges n’est-elle pas un des fondements de notre République ?


De toutes façons, d'ici quelques semaines, si tout se passe comme il a été prévu par nos très sages autorités, les expulsés auront très probablement cessé d’émettre du CO2. Les sources de distraction ne manquent pas là-bas, on n’y souffre pas l’ennui anesthésiant du monde occidental  : drones américains mal programmés, talibans sans humour, seigneurs de guerre irascibles, sans même parler des représailles (et de la honte…) au retour dans leurs anciens villages. Et puis, avec la démocratie et l’économie de marché, désormais universelles, ils n’ont, vraiment, plus rien à envier à notre mode de vie. Il ne leur restera plus qu’à aller à la galerie marchande du coin, acheter chez Séphora un parfum pour leur pauvre mère, télécharger quelques chansons de Piaf sur leur iPhone pour passer la nostalgie, et ils réaliseront bien vite (avant de mourir, si possible) l’erreur irréfléchie qu’a été leur départ. Pour le moins, leur petite escapade européenne les aura convaincus de la sincérité des valeurs humanistes qui sont les nôtres. Et si les survivants viennent à croiser nos soldats sur quelque chemin de montagne, ils seront sans doute très heureux d’échanger quelques mots dans notre langue. Alors, ces soldats seront fiers d’être Français, et n’auront plus à déplorer cette désuète tradition qui consistait, il y a bien longtemps, à accorder l’asile politique aux personnes sensibles et douillettes prétendant fuir la guerre, la torture et la mort.


Comme quoi avec un peu de patience tout finit par rentrer dans l’ordre.

 

BG

 

post-scriptum : internet étant ce qu'il est, je regrette d'avoir à préciser que ce texte est à prendre comme un avis satirique au 23ème degré ! Et tant pis pour ceux qui n'accèdent qu'au 22ème. Je suis confiant dans l'intelligence de mes contemporains, cependant à la lecture de certains commentaires il est sans doute préférable de le dire...

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22 octobre 2009 4 22 /10 /octobre /2009 11:16
Juste quelques mots pour conseiller la lecture de l'excellent article "La frontière des femmes" paru dans la non moins excellentissime revue "XXI" (Vingt et Un, disponible en librairie uniquement). Vertigineuse plongée dans l'horreur de la migration des centraméricains vers les Etats-Unis, proies fragiles dans une jungle très bien organisée pour les consommer.

De l'humain, rien que de l'humain, et pas dans ce qu'il a de plus beau.

On y apprend ainsi que la traite est l"a seconde activité illégale la plus lucrative au monde, devant la drogue et derrière les armes". Elle concernerait en Amérique 600 à 800 000 personnes, dont la moitié de mineurs. La proportion libérée grâce aux forces de l'ordre ne dépasserait pas 1 à 2 %...

A lire le coeur bien accroché, entre le documentaire de C.Poveda et le film Sin Nombre...


BG
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