Je viens de recevoir un courrier des Laboratoires Servier (ce nom me dit quelque chose...), "information sécurité patients" transmis sous l'autorité de l'ANSM, et intitulé "Valdoxan (agomélatine) : nouvelle contre-indication et rappel concernant l'importance de surveiller la fonction hépatique".
On y apprend que l'antidépresseur Valdoxan® a provoqué "des cas d'insuffisance hépatique d'issue fatale ou ayant nécessité une transplantation" ce qui nécessite un élargissement des contre-indications et des précautions d'emploi, précautions qui n'ont manifestement pas été suivies par un certain nombre de prescripteurs.
Il est relativement courant de recevoir ce type d'informations concernant des médicaments anciens, pour lesquels on découvre, au gré d'une longue période d'utilisation, des risques qui n'étaient pas prévisibles lors de la mise sur le marché.
C'est beaucoup plus rare concernant un médicament qui n'a été commercialisé qu'en 2009. La commercialisation a été accompagnée de l'information réglementaire au sujet des risques hépatiques, qui étaient connus dès le départ. Cette commercialisation a surpris plus d'un acteur du domaine de la santé, notamment la Revue Prescrire qui a critiqué un rapport bénéfice-risque peu favorable, la notice de la HAS de 2009 faisant déjà état d'une "efficacité modeste" dans la prise en charge de l'épisode dépressif majeur (Amélioration du Service Médical Rendu mineure - ASMR IV)... mais aussi d'une "bonne tolérance" (!). Le Valdoxan a été placé sous surveillance renforcée par l'ANSM dès 2011. Pour ma part je me suis défié d'emblée d'un médicament qui est cancérogène chez deux espèces animales, comme l'indique la lecture attentive du RCP (résumé des caractéristiques du produit, accessible à tout médecin dans le Vidal), certes à doses très élevées, mais sachant que les antidépresseurs sont fréquemment consommés sur des durées (trop) longues...
D'un point de vue pragmatique, on peut s'interroger sur l'intérêt de prescrire un médicament qui impose au patient une telle contrainte (prises de sang régulières) en échange d'avantages espérés si minces et alors qu'il existe de nombreuses alternatives moins risquées.
Mais la prescription n'est pas un acte purement rationnel, elle répond aussi à des motivations plus abstraites : effets de mode, attrait de la nouveauté (!), sensibilité aux avis émis par des sources plus ou moins crédibles... Il conviendra donc aussi de s'interroger sur la caution massive et quasi unanime apportée à ce produit, au fil de congrès et de publications sponsorisées, par des "leaders d'opinion" universitaires qui ont en charge de véhiculer, en théorie, l'état actuel de la science en psychiatrie. Ce soutien appuyé, enthousiaste, intellectuellement séduisant, insistant sur les avantages et minimisant les risques, a-t-il conduit des prescripteurs à manquer de prudence ? Aujourd'hui des patients en sont morts, d'autres ont vu leur vie bouleversée par une greffe de foie. C'était évitable.
BG