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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 12:21

 

alep

 

J'ai dans mon bureau cette gravure mi-naïve représentant une femme devant la citadelle d'Alep. Elle m'a été offerte il y a une dizaine d'années par un collègue Syrien venu en France pour, entre autres raisons, perfectionner ses connaissances et sa pratique de la psychiatrie. Ce n'était pas un interne étranger comme les autres, pas le genre fils de ministre venu faire du tourisme universitaire, pas non plus le genre ours aigri cabossé par la vie et en colère contre le monde. Non, un homme calme, intelligent, subtil. Un qu'il fallait très bien connaître pour deviner le quart d'un petit bout de ses blessures. Un dont on découvre que par dessus son fort accent, il connaît Hugo, Zola, mais aussi Freud – et bien d'autres – largement mieux que vous. Un dont la profondeur du regard trahit les trois ou cinq mille ans de civilisation qui séparent les Phéniciens des Gaulois.

 

Je n'arrive pas à dire son nom. Depuis son retour au pays je pense très souvent à lui, depuis son retour au pays j'ai peur pour lui, pour sa femme, pour ses trois filles aux prénoms de déesses babyloniennes. L'adresse mail qu'il m'avait laissé n'a jamais répondu après qu'il ait quitté la France. Comment savoir ? Quel pays étrange ! Dire le nom d'un de ses habitants, laisser dépasser la moindre information personnelle, ce serait le mettre en danger. Comme de la pensée magique en somme, devenue réelle : « si je parle de lui, même à distance, même sans qu'il le sache, ils lui feront du mal ». Est-ce donc finalement cela la dictature ? Nous obliger à penser comme des enfants, ou comme des fous ?

 

Depuis un an, chaque nouvelle parvenue de Syrie dans les médias me blesse. J'ai mal à mon ami. Je devine sachant son indépendance d'esprit – cela suffit - qu'il est exposé. Extrêmement exposé. Est-il seulement vivant aujourd'hui ? Les envoyés spéciaux, notamment ceux du journal Le Monde, qui font là un travail incroyable et dantesque, nous racontent chaque jour l'enfoncement du pays dans une horreur qui laissera une tâche rouge indélébile dans l'histoire de cette planète : Bachar El-Assad semble s'être fixé pour but de rejoindre Hitler, Gengis Kahn ou Néron dans le panthéon malade des gouvernants sadiques ivres de leur propre cruauté. Il y avait déjà la systématisation de la torture. Il y avait déjà ces milices qui déchiquettent, dépucellent, démembrent civils, marchands, écolières. Il y avait déjà ces médecins et infirmières que l'on torture puis exécute pour avoir tenté de soulager des rebelles mourants. Ultime degré descendu dans l'échelle de la civilisation ?

 

Ces jours-ci c'est Alep où les avions de l'armée, celle du pays, l'armée des Syriens, sans concurrence dans le ciel, jette ses bombes à l'aveuglette, dans des salles de bain, sur des boulangeries, sur des monuments millénaires aussi. Une des plus anciennes villes de l'Humanité, une des plus belles et des plus fascinantes sans doute, où je rêvais d'aller bien sûr, tant pour son atmosphère que pour ses musées, pour son bîmaristan et ses fontaines (y soigne-t-on encore les fous ?), pour la la concentration subtile de tout ce qui définit l'humanité civilisée. J'ai mal à mon ami, à ses proches, à sa femme, à ses trois filles aux prénoms de déesses babyloniennes.

 

BG

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commentaires

L
<br /> C'est un bien triste billet que vous nous écrivez là. J'espère que votre ami et sa  famille sont encore en vie et qu'un signe vous soit fait dans ce sens. Il n'y a pas un jour où je pense à<br /> cette folie qui gagne du terrain dans le monde entier avec le sentiment d'impuissance devant une telle situation. Je pense que l'humanité est arrivée à un tournant décisif pour sa<br /> survie, la catastrophe est à nos portes. C'est pas joyeux de dire ça mais c'est mon ressenti profond depuis pas mal de temps.<br /> <br /> <br /> A part ça je trouve ce tableau très beau.<br /> <br /> <br /> Bonne soirée<br />
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D
<br /> En regardant de nouveau cette gravure, j'ai l'impression que cette femme raconte... et j'espère qu'elle donnera de bonnes nouvelles sur celui qui l'a transportée<br />
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D
<br /> Au fil de l'actualité, ce regard et le lieu intensifient les nombreux questionnements.<br />
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