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7 janvier 2010 4 07 /01 /janvier /2010 11:03


Rappelez-vous : l’an dernier à la même époque, il ne se passait pas une semaine sans que les caméras de télévisions, les marchands de tabloïds et les présidents de la République Nationale ne montent au créneau pour fustiger les « fous qu’on laisse traîner dans la rue », les « dangereux malades mentaux » que des psychiatres vaguement complices abandonnaient, par angélisme naïf, à leurs pulsions meurtrières. Chaque fois qu’un malade rentrait en retard d’une permission de sortie, on sortait les hélicoptères et on placardait des avis de recherche. Et encore, il fallait qu’elles existent, ces autorisations de sortie, accordées désormais au compte-goutte par des préfets au garde-à-vous, freinant ainsi les projets de meilleure insertion dans la société pour des tas de gens. Chaque drame appelait son lot de photographes pour mieux immortaliser les taches de sang sur l’asphalte, et les familles en larmes étaient reçues dans le crépitement des flashs à l’Elysée. Chacun des faits était immédiatement suivi d’une annonce tonitruante de réforme plus ou moins intolérable, comme celle prévoyant de juger les fous, au mépris des principes fondamentaux de la Justice et des évolutions majeures qui jalonnent la psychiatrie depuis deux cent ans, ou encore les troublantes propositions de "géolocalisation"...

Tout ça, c’est fini.

La semaine dernière près de Nice un type gravement malade de la tête a poignardé un ancien voisin, probablement au cours d’un état délirant paranoïde d’après les éléments que l’on rapporte. Il ne s’agit pas vraiment d’une surprise, il avait déjà eu ce type de gestes il y a quelques années, et en dépit d’allusions répétées à son délire agressif, bénéficiait de sorties régulières de l’hôpital, au cours desquelles il promenait son étrangeté menaçante dans son ancien quartier. Les quelques éléments qui filtrent dans les médias laissent penser que la tragédie était imaginable, et donc évitable. Ainsi la victime, concierge de la résidence, avait même récemment écrit pour signaler ses craintes. Sans attaquer outrageusement les collègues, on peut légitimement évoquer l’hypothèse qu’il y ait eu un gros dysfonctionnement et que ce malade, à ce moment précis de sa pathologie, n’avait pas grand chose à faire en ville...

Et bien ? Et bien rien.

Pas de caméra (enfin, à peine), pas de président de la République éructant d’une vraie-fausse colère calibrée, pas de préfet muté, pas de directeur d’hôpital humilié, pas de psychiatre condamné à l’autocritique en place publique, pas d’infirmiers psychiatriques piétinés par la Troupe Gouvernementale, pas de reprise en boucle par les médias pendant des semaines et des semaines. Le fait divers est revenu à sa vraie place, à son juste prix, il est même en quelque sorte, en promotion. Le drame, les drames, celui de la victime et celui de l’assassin fou (et celui de l’équipe soignante mortifiée, peut-on supposer…), ont repris leur vraie dimension : individuelle, et dans une certaine mesure, silencieux.

Alors on est bien obligé de constater que l’agitation de l’an dernier était une bulle spéculative politico-médiatique, et qu’elle est aujourd’hui dégonflée, démonétisée. Cela ne rapporte plus, on jette. Le cirque est parti. Aujourd’hui le malade mental ne menace plus la quiétude et l'unité de la France Nationale. Il a disparu, comme ont disparu avant lui les syndicalistes, les violeurs récidivistes, les bandes violentes, les fainéants, les journalistes, les juges, Dominique de Villepin, les enseignants, et les traders…bientôt rejoints par les brûleurs de voiture, comme on a pu voir au premier de l'An.

Aujourd’hui l’ennemi de notre Démocratie de Comptoir Nationale, celui que la patrie nous appelle à épier et combattre, c’est le jeune de banlieue, pourvu qu’il soit musulman et porte sa casquette à l’envers, c’est le père de famille Afghan fuyant la guerre, c’est le descendant d’immigré à la dix-huitième génération qui ne sait pas chanter la Marseillaise et le demandeur d’asile qui peine à lire Montesquieu. Bref si vous êtes malade, mental, que avez un meurtre à commettre mais que vous ne tenez pas particulièrement à passer à la télé : c’est le moment d’en profiter !


Bertrand Gilot


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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 16:37

 

Cela faisait si longtemps que nous ne nous étions plus revus. Combien d’années, déjà ? La dernière fois, je m’en rappelle bien, je travaillais encore à l’hôpital, c’était pendant ces interminables années de « post-internat ». Ces années où sous le titre ronflant de «Chef de Clinique – Assistant », on sert à un peu tout (prendre la garde de Noël quand les médecins titulaires sont en RTT) et un peu à rien (ne pas voir son nom cité en bas des travaux que l’on a rédigé). Ces années où l’on s'épuise à croire, encore un tout petit peu, que la loyauté et l’application seront naturellement reconnues et pourquoi pas, récompensées - avant d'accepter le constat que les chaussons devant la cheminée restent désespérément vides.

Bref depuis cette époque où j’attendais la dernière couche de vernis avant d’être recraché par la Machine à Fabriquer des Docteurs (avec un sourire figé un peu comme les petits bonshommes qui peuplent les terrains de baby-foot) je ne l’avais pas recontactée. Je n’attendais plus rien d’elle je crois. Ses petits cadeaux me semblaient désormais moches, lointains, inutiles, j’en avais même jeté certains. Elle ne m’appelait plus non plus, mais elle continuait mécaniquement à m’envoyer des invitations de temps en temps, auxquelles je ne répondais pas. Cela me touchait bien un peu, mais je sentais qu’elle le faisait sans vraiment penser à moi, et je savais qu’elle ne remarquerait pas mon absence.

Et puis, je m’en rends compte aujourd’hui, j’ai fini par oublier jusqu’à son existence. Insensiblement, après avoir partagé tant d’intimité, tant de complicité, tant de moments forts, grisants tout au long de mon début de carrière, sa place dans ma vie s’était refermée, rebouchée, il n’en restait qu’une pâle cicatrice. Comment et par quoi l’avais-je remplacée, c’est difficile à dire. Sans doute par une réorientation de ma pratique professionnelle où j’évitais de la rencontrer directement : j’utilisais bien sûr certains de ses services, mais sans passion, froidement, avec des attentes précises et des exigences rationnelles. J’explorais d’autres façons de faire, je me rendais compte qu’au fond je n’avais pas autant besoin d’elle qu’elle n’avait pu me le faire croire. Et aussi, pour me distraire quand la tentation de la rejoindre pointait à nouveau, je lisais quelquefois la revue Prescrire.


Alors quand elle m’a téléphoné l’autre jour pour me proposer un rendez-vous, mon sang n’a fait qu’un tour. Après une courte et vaine hésitation, j’ai dit oui, bien sûr j’ai été faible, j’ai dit oui, je voulais savoir, je me le cachais mais j’en rêvais, il fallait qu’on se revoie un jour, bien sûr, Oscar Wilde ne disait-il pas que l’on peut résister à tout, sauf à la tentation ?


Et ce matin, elle est venue. Comme avant. Elle n’a pas changé. Elle, l’Industrie Pharmaceutique, a pris cette fois comme pseudopode pour entrer en contact avec moi, le visage anodin d’une dame polie et consciencieuse. Une dame qui en bonne visiteuse médicale a attendu – bien malgré moi, je le précise – vingt minutes dans la salle d’attente avec un sourire figé, un peu comme les dames qui posent pour les publicités pour des bas de contention. Elle m’a tendu une poignée de mains ferme et rassurante avant d’entrer dans mon bureau traînant derrière elle une lourde valise à roulettes remplie de trucs inutiles, comme une collégienne avec son Tann’s® sur le dos.

Après un échange de banalités cordiales, la dame a sorti de sa remorque les paperasses multicolores nécessaires à l'accomplissement du rituel, avec le mystère d'un pope s'affairant derrière l'iconostase. Son regard s’est voilé pendant qu’elle lançait dans son cerveau le logiciel qu’on lui a installé lors du dernier séminaire de formation, trois jours sans sortir dans un hôtel à 4 km de chez elle, entre deux séances de team building où elle avait dû lancer en rougissant de la mousse au chocolat sur son directeur régional. Brutalement, j’ai alors perdu le fugace sentiment de contact humain qui m’avait traversé en la saluant : « si vous voulez opter pour le prélèvement automatique, tapez dièse ; si vous voulez recevoir les offres de nos partenaires, tapez étoile… ».

Le choc a été terrible. Car çàa n’a pas manqué : elle s’est mise à me raconter, sur le même ton que si elle avait lu un prompteur qu’une nouvelle étude parfaitement indépendante ...gnagnagna avait prouvé ...blablabla que son antidépresseur qu’elle vend ...patipatapati était le meilleur de l’Univers Connu et Inconnu et qu’on s’en doutait bien, hein n’est-ce pas docteur, mais que là ça y est cette fois, c’est sûr et vrai de vrai, et c'est le sien qu'est le mieux.

Silence.

Vertige.

Malaise.

Mal de tête (à peine, mais quand même).

Mon regard s’est troublé, ma tête s’est mise à tourner, des souvenirs me sont revenus, massivement, agressivement, comme autant de bouchons de champagne gratuit qui m’auraient bombardé subitement. Je réalisai le gouffre. Le précipice. Le canyon qui nous sépare aujourd’hui, qui s’est creusé entre nous durant ces années d’absence. La peau qui a écaillé le vernis de joueur de baby-foot - chez moi, pas chez elle. Et pourtant c’était du light, je vous jure. Pour une reprise, ils m’ont envoyé une gentille, elle était pas habillée comme une hôtesse du Salon de l’Auto, elle n’a pas essayé de m’offrir un pot à crayons en carton avec un calendrier qui clignote imprimé dessus, elle ne m’a pas glissé une invitation à un symposium bidon animé par un professeur corrompu dans un château à la con, et, comble du luxe, elle ne m’a même pas saoûlé avec des explications neurobiologiques dont elle ne maîtrise pas le quart de la moitié des notions. Je n’ai même pas eu à subir l’épreuve du « visuel », vous savez ces affreux tableaux pondus par le service marketing comparant une courbe verte virilement ascendante montrant son produit et une courbe rouge qui vasouille illustrant le médicament concurrent honni (la publicité est une science exacte, certes, mais elle a aussi ses limites…). Je n’ai plus écouté un seul mot de ce qu’elle me racontait : c’était impossible, le désir était absent, la panne était maintenant trop apparente, et je ne sais pas trop bien simuler, alors j’ai eu soudain une grande, une immense envie que très très vite, on ne soit plus là, ensemble, face à face, cela souillait mon souvenir et mon présent aussi, il fallait que ça s'arrête, vite.


Elle a dû le sentir, la dame, parce qu’elle a fait rudement court, en tous cas à comparer des longues séances de suçage de cervelle auxquelles j’avais dû assister autrefois à l’hôpital, en échange de quelques viennoiseries trop grasses, d’un pin’s et d’un petit lot de post-its sous l’œil distrait d’un chef de service resté bloqué assis en mode « veille », les menottes budgétaires aux poignets. J’ai pourtant été poli, moi aussi, neutre, impassible, compatissant même. Elle a dû le sentir, et elle a fait court, et elle est repartie à Laboland, avec le même regard que fait mon banquier quand il me propose des « nouveaux produits qui pourraient m’intéresser » alors que je le vois pour lui demander tout autre chose, et il sait qu’il doit me le dire, et il sait que ça ne sert à rien, et que son action n’influera en rien sur ma décision, mais qu’il y est obligé, et je le regarde avec compassion parce que je sais qu’il sait que je sais qu’il est obligé et que toute cette mascarade ne sert pas à grand’ chose au fond et que je sais qu’il était mieux, il y a un mois de ça, en tongs et en short sur une plage quelconque mais loin d’ici. Et la dame du labo de ce matin elle aussi, elle a lu dans mes yeux que je sais qu’elle sait que son passage ne modifiera pas mes prescriptions, et que son article scientifique « totalement indépendant » je n’y accorde qu’un crédit fort limité et qu'il sera à la corbeille avant ce soir, et qu’elle sait aussi que je sais que ma compassion envers elle l’agace mais que j’y peux rien, c’est dans ma nature.



Allez, au fond, sans doute c’est mieux qu’on ne se revoie pas.



BG

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10 septembre 2009 4 10 /09 /septembre /2009 11:09
Que les fans de Mickael Jackson ne m'en veuillent pas, j'étais presque en vacances et mon inspiration aussi lorsque leur idole s'est éteinte, et il manquera donc mon billet pour accompagner leur deuil. Deuil que je partage aussi un petit peu puisque j'ai quand même dansé sur Thriller dans mes première "boums" (tiens ça existe encore ça ?) et que la cassette (une casssette, mais si rappelez-vous) des meilleurs tubes de ma pré-adolescence lui faisait une large place.

Par contre, la lecture du Monde du 3 septembre donne quelques infos intéressantes sur son "médecin personnel" le désormais célèbre Conrad Murray. Il faudra un jour que le Conseil Mondial de l'Ordre des Médecins (organisme encore à créer, avis aux médecins potentophiles de tout poil...) se penche sérieusement sur la notion de "médecin personnel" à laquelle j'ai un peu de mal à adhérer. Car un médecin, à la différence d'une brosse à dents, ça se prête, c'est ouvert au public, ça joue un rôle vis à vis de la collectivité, et puis la compétence c'est quand même au contact d'une masse de problèmes variés qu'on peut l'entretenir...

Alors un médecin privé, c'est bien difficile à se représenter... Remarquez ça va avec la logique de l'époque, tout ce qui était très largement collectif il y a encore vingt ans devient privé, personnel, incessible, inaliénable. Ce ne sont plus seulement des privilégiés marginaux mais toute une partie de la classe moyenne qui désormais possède SA piscine (minuscule et dangereuse pour les enfants, mais bon), SON cinéma perso (ah tiens le CNP Odéon a fermé... heureusement il reste les blockbusters en DVD), et on ricane sur les Suisses qui ont dans les immeubles l'obligation de partager (aïe !) un lave-linge commun. Avec les courses sur Internet et le libre choix de l'école des enfants, la mixité sociale fond comme la banquise du Pôle Nord. Enfin bref, la star avait son médecin perso rien qu'à soi.

La première raison pour laquelle j'aurais bien voulu le rôle, c'est quand même le pognon, parce que le Dr Murray était - toujours selon Le Monde - rémunéré 150 000 Dollars par mois pour ses services, ce qui même si l'Euro est fort en ce moment, laisse de quoi se payer plein de trucs vachement importants (des piscines, des home cinema...). Mais surtout, je suis à peu près certain que j'aurais fait mieux que lui. Si. Car j'ai sursauté en lisant l'affreux déroulement des prescriptions du jour fatal au chanteur : il s'est vu administrer pour son insomnie des benzodiazépines , et parmi les plus sédatives de cette catégories, à (au moins) cinq reprises en six heures, per os et en perfusion. Déjà, beau score, cela aurait mis en danger de mort même un toxicomane averti. Mais le plus rigolo est d'avoir tenté, l'administration de Propofol (Diprivan®), ce médicament utilisé couramment comme anesthésique. Au demeurant c'est un bon produit, dont la tolérance est excellente. Mais c'est un bon produit anesthésique... Je ne sais pas trop ce qu'a voulu faire le collègue (quelque chose me dit qu'on va bientôt lui poser la question droit dans les yeux et une main sur la Bible...), mais administrer un anesthésique à la volée, dans une chambre d'hôtel, sans autre personnel médical à ses côtés ni matériel de réanimation (réanimation non pas au sens de "il se passe un truc grave" mais "prévention des complications liées à l'utilisation d'un médicament ultra-sédatif"), c'était quand même très, très rock and roll au point que, on m'aurait demandé mon avis, je lui aurais dit de pas le faire. On note au passage qu'en plein Los Angeles, il a fallu 53 minutes à l'ambulance pour arriver...

Surtout qu'à la base, revenons aux fondamentaux, l'indication de prescrire (TOUJOURS se demander "pourquoi je fais ce que je suis en train de faire") était... une insomnie, et que le propofol a été admninistré à... 10 h 40 du matin, après une nuit sans sommeil. Combien de fois me suis-je engueulé avec des infirmières de nuit qui m'appelaient - me réveillaient - pendant mon bref sommeil des nuits de garde parce qu'un patient "ne dormait pas"... Après s'être assuré que le patient n'avait AUCUN autre problème que l'insomnie, cela finissait toujours par le même dialogue : "Et vous ça vous arrive de mal dormir parfois ? - bah oui. des fois. Et vous appelez le SAMU ? - heu... ben non." Voilà comment à fétichiser un symptôme on finit par terrasser la maladie à coup de bulldozer, et le malade aussi, mais avec la fierté de le voir mourir guéri. Exit ici l'autre principe fondamental "primum non nocere" (avant tout, ne pas nuire) hérité d'Hippocrate et que l'on tend si souvent à oublier dans nos contrées hypermédicalisées. Le docteur Murray est présenté comme cardiologue (j'avais lu généraliste sur une autre source, mais admettons). Il a fait strictement n'importe quoi en jonglant avec des médicaments qui ne sont pas de son champ de compétence, en essayant de traiter un problème qui dépassait très largement ce qu'il savait reconnaître et traiter. Cela aurait pu être ridicule et même rigolo, ça a fini par un drame, médiatisé uniquement parce qu'il s'agissait d'une célébrité.

En l'occurence un rapide recoupement d'information permet de supposer assez  fortement que Mickael Jackson ait pu souffrir d'un sévère Etat de Stress Post-Traumatique consécutif à des violences subies dans l'enfance, puis surtout à l'incendie de sa chevelure qui a failli le tuer lors du tournage d'une publicité au début des années 80. Cet événement a été le point de départ de son acharnement obsédant pour son apparence physique (jusqu'à la destruction par une chirurgie inadaptée), de cauchemars récurrents, de diverses addictions médicamenteuses, de douleurs physiques permanentes aussi. Je n'ai rien lu concernant une éventuelle prise en charge psychologique - cela aurait-il changé le cours des choses ?



EPILOGUE

Régulièrement je découvre les bricolages naïfs insensés de certains confrères avec les médicaments psychotropes. Rarement une star de la chanson en meurt, mais ça fait des dégâts quand même. On a beaucoup fustigé les patients et leur propension à trop demander de médicaments, on évoque trop peu - et on n'étudie pas vraiment - la manière dont nombre de médecins, généralistes ou spécialistes médecins ou chirurgiens, se croient compétents pour diagnostiquer et traiter n'importe quelle souffrance psychique qu'on leur présente. Ainsi la perte d'emploi un peu angoissante du petit neveu se traduira par "un petit Lexo", la rupture amoureuse autant le cancer seront transformés en chouettes souvenirs par "du Deroxat®, ça vous fera du bien". Jusqu'à quand ? En visant quel symptôme ? Avec quelle alternative ensuite ? En prenant garde à quelles contre-indications ?  En surveillant quels effets-secondaires ? En ciblant quel rapport bénéfice / risque ?

- Allô le psy ???
- je peux pas vous répondre on m'attend pour opérer une appendicite, après je dois prescrire une chimio et ensuite j'ai mes patients suivis pour arythmie cardiaque...

Décidément, un médecin personnel c'est comme une piscine privée ou un home cinéma : ça sera toujours trop étriqué, pas assez surveillé, la bande son ne fait pas illusion bien longtemps et l'image reste, in fine, un peu palote...

BG
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17 avril 2009 5 17 /04 /avril /2009 16:21
Voici un petit extrait de mon livre "Antidépresseurs : faut-il en prendre ou pas ?" concernant la symptomatologie dépressive. En espérant que ce petit texte de vulgarisation pourra rendre quelques services...

Le syndrome dépressif : des symptômes courants dont seul le regroupement est spécifique
[…]

Il existe des formes différentes de dépression, nous allons donc […] décrire ici une forme typique de dépression sévère, appelée selon les termes en vigueur actuellement « épisode dépressif majeur ». […]

La dépression se manifeste par un ensemble de symptômes qui concernent les émotions, les pensées, les comportements, les relations aux autres, le fonctionnement du corps. Chacun de ces symptômes, pris isolément et sur un laps de temps bref, peut être ressenti en dehors de la dépression par tout un chacun.  Ce qui est réellement spécifique de la dépression, c’est leur association et leur stabilité dans le temps (au moins deux semaines dit-on). Comme toutes les maladies, il arrive bien sûr que la symptomatologie soit incomplète (certains symptômes sont absents), masquée par une expression particulière (des douleurs physiques par exemple), ou déformée par un premier essai de traitement (y compris en automédication, y compris par de l’alcool ou du cannabis…). […]

Les principaux symptômes qui permettent de reconnaître la dépression sont :
-    la tristesse : […] elle n’est pas forcément au premier plan, elle peut même être quasi-absente notamment lorsque la dépression s’accompagne d’un état d’épuisement émotionnel où plus rien n’est ressenti […] son intensité peut atteindre des extrémités difficilement imaginables qui font parler de douleur morale. La moindre information de l’environnement est interprétée à travers ce filtre sombre. Des crises de larmes sont souvent associées bien qu’elles ne soient pas forcément en lien immédiat avec la tristesse proprement dite, on parle dans ce cas de labilité émotionnelle (les nerfs à fleur de peau dira-t-on).
-    L’impossibilité d’éprouver du plaisir dans les activités habituellement agréables : c’est l’anhédonie […]. Elle peut concerner tous les domaines de satisfaction, qu’il s’agisse par exemple de l’épanouissement professionnel, d’un loisir particulièrement investi, ou des relations sociales : « rien ne fait plaisir », on n’a « plus goût à rien », tout devient indifférent. Bien que très gênante, cette difficulté n’est que rarement un sujet de plainte.
-    L’absence de désir, d’envie, de projet, appelée aboulie, que l’on doit comparer avec le dynamisme habituel de la personne. Bien souvent cette difficulté à émettre la moindre initiative est plus remarquée par l’entourage que par le patient. Prévoir les prochaines vacances, une sortie ou l’organisation d’un événement minime devient un obstacle infranchissable, quel que soit le plaisir qui peut en être attendu. Il devient également difficile pour le dépressif de se projeter dans l’avenir, pouvant aller jusqu’à une sensation d’impasse.

Bien d’autres symptômes peuvent être présents, qui découlent plus ou moins de ces trois aspects fondamentaux :
-    La perte d’élan vital, [...] manque d’intérêt pour la vie, d’implication dans sa trajectoire de destinée, contrastant avec la manière d’être habituelle de la personne. L’image fréquemment donnée est celle d’une voiture qui a calé : on sait que les conditions sont réunies pour que tout fonctionne pour le mieux mais rien ne bouge et la volonté est impuissante (« le moteur est là mais ne tourne pas - et je ne trouve plus le démarreur »). Il s’y ajoute une thématique pessimiste qui s’étend à des domaines généralement bien investis. L’estime de soi peut également être profondément altérée, s’exprimant sous la forme d’idées autodépréciation parfois préoccupantes.
-    Le désir de vivre étant dilué voire perdu, les pensées relatives à la mort sont fréquemment signalées. Il peut s’agir de simples évocations abstraites sur la mort en général jusqu’à des préoccupations sur l’éventualité de sa propre mort (« ça serait aussi bien si j’étais mort ») voire un désir de mourir, qu’il soit passif (« si je pouvais tomber malade et y rester… ») ou actif avec des idées de suicide. Ces idées de suicide peuvent être plus ou moins réalistes, allant d’une vague ouverture sur la question (« si un jour je sens que je n’en peux plus… ») jusqu’à l’élaboration d’un projet de passage à l’acte - parfois dissimulé activement. […]
-    La démotivation, le désintérêt, l’ennui, sont à rapprocher de l’aboulie et de l’anhédonie. Cela peut toucher le travail et les projets de long terme, mais aussi les actes simples et nécessaires de la vie quotidienne : répondre aux courriers administratifs, faire les courses, le ménage, peuvent devenir inaccessibles. Au maximum, toute activité peut s’avérer impossible, jusqu’à ne plus pouvoir organiser ses repas ou se laver, on « se traîne », certains patients restant même bloqués au lit quasiment en permanence.
-    Les relations avec les autres, tous les autres – des plus intimes aux plus anonymes - deviennent difficiles, fatigantes, imposent un effort parfois même douloureux qui peut amener des manifestations de rejet ou d’irritation qui ne doivent pas être mal interprétées. Les initiatives deviennent rares ou absentes, mais il n’est pas rare de refuser aussi les sollicitations des proches : téléphone éteint, etc. Cette tendance au repli social isole, éloigne des amis, de la famille, des liens amoureux, privant le dépressif d’une source de soutien et de satisfaction. Cet isolement contribue à aggraver la sensation d’inutilité, d’incapacité et peut mettre la personne en réel danger.
-    Le plus souvent les grandes fonctions de base de la « vie instinctuelle » sont sévèrement perturbées par la dépression : le sommeil est rarement épargné, qu’il s’agisse d’insomnie d’endormissement avec des ruminations pessimistes ou tristes, ou plus spécifiquement de réveils en milieu ou en fin de nuit, au petit matin, parfois accompagnés d’une grande souffrance. A l’inverse pour certains c’est un excès de sommeil « refuge » qui se manifestera. L’appétit est fréquemment perturbé également, souvent diminué, parfois augmenté avec un recours excessifs aux aliments gras/sucrés. Enfin la sexualité […] est une des premières victimes de la dépression […].
-    La symptomatologie a tendance à évoluer au cours de la journée, qui débute souvent mal, avec une atténuation progressive quand approche la perspective du repos nocturne.
-    Les aptitudes que l’on nomme cognitives, en particulier l’attention, la concentration est la mémoire sont généralement affectées par la dépression, d’autant plus qu’il s’y associe souvent un ralentissement psychomoteur. Ces symptômes sont évidemment les plus handicapants quant à la poursuite du travail, et renforcent le sentiment d’incapacité du dépressif. […].

On ne rappellera jamais assez que tous ces symptômes :
-    ne sont pas très spécifiques pris isolément, n’ont de sens que regroupés entre eux et stables sur une période de temps conséquentes (l’ordre de grandeur de deux semaines paraît un minimum)
-    ne sont pas forcément présents tous en même temps ni avec la même intensité au cours de l’évolution chez la même personne.
-    doivent donc être impérativement évalués par quelqu’un dont c’est le métier, médecin généraliste ou si possible psychiatre, et cela sans délai une fois que l’on a commencé à se poser la question.

[…] Le dépressif sait qu’il va mal mais ne sait pas toujours qu’il est dépressif (« laissez moi, c’est juste une mauvaise passe »). Il sait encore moins souvent qu’il est possible de l’aider (« ce n’est pas un médicament qui va m’aider ! »). Penser qu’on ne peut pas être aidé est en soi un symptôme de la dépression : ce n’est pas le plus spectaculaire mais c’est peut-être le plus dangereux, car il conduit à ne pas se plaindre, à ne pas demander de soutien adaptée à la situation, qui peut dès lors risquer de s’aggraver… jusqu’où ? Quelqu’un qui va mal et qui ne se plaint pas n’est pas forcément quelqu’un de courageux mais assurément quelqu’un qui est en danger. Se plaindre est une attitude bien peu valorisée dans la culture occidentale, c’est pourtant un moyen efficace d’ouvrir, de décomprimer sa souffrance, c’est aussi déjà attendre un secours des autres.





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11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 15:18
"La psychiatrie est une sentinelle de la République", cette belle phrase et bien d'autres sont à lire dans l'interview du confrère psychiatre Hervé Bokobza dans Le Monde daté de ce 11 Avril. Très bonne synthèse des différents soucis qui affectent notre beau métier en ces temps troublés, de la partialité de plus en plus stérile de l'enseignement universitaire aux récentes distorsions sécuritaires.
A méditer en particulier par tous ceux qui pour toutes sortes de raisons croient voir dans cette spécialité aujourd'hui menacée une entreprise d'aliénation de l'individu.



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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 10:11
Enfin l’ouvrage de référence en psychiatrie que vous attendez tous ! Les éditions Pensée Psychiatrique Française ont le plaisir de mettre à votre disposition la nouvelle édition du célèbre Traité de Clinique et de Thérapeutique Psychiatrique Moderne.

Héritage direct des grands psychiatres français que furent Avicenne, Sigmund Freud et Ambroise Paré, cet ouvrage monumental réussit l'exploit de synthétiser l'expérience et la réflexion, mais également l'immense effort de recherche et de conceptualisation qui a caractérisé la psychiatrie des trente dernières années dans notre pays, le tout dans un format ultra-compact qui reste à l’heure actuelle inégalé (une page).

Nous espérons qu'il répondra à vos attentes, permettant aux praticiens expérimentés d’actualiser leurs connaissances, et aux plus jeunes de trouver leur place dans une discipline enfin allégée de ses conflits idéologiques. De plus, dans la perspective de l'évolution démographique de notre métier, cet ouvrage à la pédagogie très étudiée devrait rendre l'exercice de la psychiatrie accessible au plus grand nombre.



A titre promotionnel le Traité est disponible en téléchargement gratuit pendant dix ans ! Profitez-en vite, le prix de vente ultérieur sera fixé à 9789 € (HT) !!!

[19/12/2010 mise à jour du lien de téléchargement !]


pour le comité de rédaction

Dr Olivier Silure
Pr Marc Patatras

Pensée Psychiatrique Française, éditeur, 75005 Paris
http://www.penseepsychiatriquefrancaise.fr
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20 mars 2009 5 20 /03 /mars /2009 18:02
Ce néologisme barbare (faut que j'en trouve un mieux...) juste pour vous inviter à visiter ma page de gribouillages, qui reste magistralement ignorée par les spectateurs blogosphériques de passage, si j'en crois le statisticien du site over-blog...

Donc la page avec le diaporama et tout le confort moderne c'est ICI et je vous en colle un petit sous le nez histoire de dire que, voilà, vous pourrez pas dire que vous saviez pas !

BG


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25 février 2009 3 25 /02 /février /2009 18:11
je voulais juste faire connaître - en particulier au corps médical - cette nouvelle maladie méconnue : le TDLM
c'est excellent ! tout y est, on s'y croirait, grand coup de chapeau à l'auteur de cette étude fouillée le Dr JP Richier.

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13 février 2009 5 13 /02 /février /2009 16:06

Une patiente d’une petite quarantaine d’années est venue me voir un jour pour un suivi spécialisé, adressée par son nouveau médecin généraliste. Elle prenait un antidépresseur, inhibiteur de recapture de la sérotonine (ISRS), depuis sept ans, sans discontinuer, et son nouveau médecin voulait l’avis d’un psychiatre. A la suite d’un deuil elle avait traversé une période difficile : elle avait été triste, avec même des crises de larmes. Et puis, elle était un peu timide, pas trop sûre d’elle, parfois un peu « nerveuse ». A preuve de la gravité de sa maladie mentale, elle était mariée, avec deux enfants, et un parcours professionnel évolutif et jugé plutôt satisfaisant, malgré quelques crispations avec une collègue de bureau. Plus inquiétant, il lui arrivait quelquefois d’être en conflit avec ses parents.

Son précédent médecin lui avait prescrit et renouvelé l’antidépresseur au fil des années, parce que elle « manquait de sérotonine dans le cerveau », ce qui expliquait son malaise initial. Fort logiquement, le médicament lui faisait fabriquer la sérotonine qui manquait, et puis voilà, elle était guérie à la fois de sa dépression, de son anxiété généralisée et de sa phobie sociale. En même temps, ça la protégeait du risque de faire des attaques de panique. Du coup, alors que tout allait bien dans sa vie depuis plusieurs années, elle était plutôt réticente devant ma proposition d’arrêter ce traitement. C'était quand même un médecin qui lui avait dit tout ça. Qu’allait devenir son cerveau sans sérotonine ?

Après de longues discussions, elle a consenti à faire un essai de sevrage, lentement et prudemment, dans le cadre d’un suivi régulier, avec ma promesse de le lui represcrire si besoin. Elle s’est trouvée confrontée à des émotions un peu plus intenses, parfois un peu « aiguës », ce qui a motivé un engagement un peu plus dynamique dans nos entretiens, un intérêt pour la compréhension de ses propres moyens de réaction, et la prise de conscience de la nécessité de les développer. Le matelas de protection fourni par les ISRS lui a sans doute permis, durant un temps, de faire l’expérience d’une vie un peu plus abritée des émotions pénibles. Mais de là à justifier sept ans de traitement…

Après le sevrage qui n’a pas posé de problème particulier, nous nous sommes revus de loin en loin pour s’assurer que tout allait bien. Quelques mois après avoir interrompu le suivi, elle a su revenir avec une demande d’aide ponctuelle face à un souci personnel, sans que rien ne rende utile une éventuelle reprise de traitement médicamenteux.

Ah j’ai oublié de vous parler de son ancien médecin : elle avait dû en changer parce qu'il était mort.
Il s’était suicidé.
Le marketing médico-scientifique ne protège décidément pas de tout…

 

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9 février 2009 1 09 /02 /février /2009 21:51

A la suite d’événements dramatiques impliquant des malades mentaux, un certain nombre d’âneries sur la question ont été largement diffusées dans une opinion déjà surchauffée sur le thème « la France a peur ». Il est donc important et urgent de resituer les choses telles qu’elles se passent réellement, dans la vraie vie : cette réalité de la folie, médicale et pragmatique, paraîtra sans doute un peu terne, bien loin de celle spectaculaire et menaçante qui est mise en scène actuellement.

 

La schizophrénie, psychose chronique qui débute chez l’adolescent ou le jeune adulte, touche 1% de la population, soit près de 600 000 personnes en France. Ses causes demeurent pour l’essentiel inconnues. La déstructuration (et non le dédoublement) du psychisme perturbe progressivement les associations entre les pensées, et entre les émotions et les idées. Déroutantes pour l’entourage, des hallucinations notamment auditives (les « voix »), et des idées délirantes peuvent induire des comportements inappropriés, inquiétants par leur bizarrerie mais en réalité, très rarement violents. La dégradation progressive des aptitudes intellectuelles et affectives est plus discrète, mais très handicapante. La personne schizophrène habite un monde complexe, qu’elle ne comprend plus et qui lui apparaît volontiers menaçant, ce qui entraîne méfiance, isolement, et parfois clochardisation. La prise de conscience des troubles, plus fréquente qu’on ne l’a dit, provoque une immense angoisse, à l’origine de nombreux suicides.

Les soins psychiatriques proposés (parfois imposés, en situation de crise), visent à instaurer des liens de confiance durables avec les soignants, pour traiter les symptômes mais aussi préserver l’insertion sociale et familiale, les acquis, l’autonomie et au fond, surtout, la dignité du patient. Ce lien subtil permet la prévention, ou le repérage précoce, des crises délirantes, ce qui diminue le retentissement de la maladie pour l’individu - et donc son coût pour la collectivité. Les principaux moyens sont les médicaments (neuroleptiques, dont on a dit tant de mal…), les hospitalisations, y compris de courte durée ou à temps partiel (on parle d’un rôle thérapeutique propre de l’institution), la psychothérapie lorsqu’elle est possible, et un accompagnement social (reconnaissance du handicap, protection des biens…). Un certain nombre de malades schizophrènes atteignent une insertion professionnelle et conjugale heureuse, mais beaucoup mènent une existence difficile, vulnérable et appauvrie.

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