Il y a chez l’actuel Président de la République quelque chose qui depuis ses débuts dans la vie publique, agace ses détracteurs et galvanise ses partisans : il bouge, beaucoup et tout le temps, mû par une intelligence dynamique capable dit-on d’embrasser un dossier dans l’instant pour s’éprendre d’un autre l’instant d’après.
Cette énergie manifestement renouvelable épate parfois, épuise souvent, laissant en tous cas peu de répit aux moulins à vent qui encombrent sa route. Mais quel que soit le déplaisir qu’engendre ce spectacle dans la vie politique, ce n’est peut-être pas si grave. Il peut s’agir simplement une variante de l’habit du pouvoir que d’autres ont porté étriqué comme un costume de banquier, rigide comme un drapé de statue ou encore faussement décontracté.
Le vrai problème c’est quand ce Président stroboscopique rencontre des enjeux dont la temporalité dépasse ses clignotements. C’est le cas du nucléaire et des questions mises dramatiquement en lumière après la catastrophe Japonaise de Mars 2011.
L’homme qui se mesure à l’échelle du microcosme huppé de l’ouest Parisien, qui change d’avis chaque jour et de réforme chaque semaine, nous explique ses conceptions sur le risque nucléaire civil dont les étalons sont la région voire le pays, le siècle et le millénaire. Que nous dit-il ?
Deux mois après Fukushima, alors que le monstre de Tchernobyl fête les 25 ans de son sarcophage mal refermé, le Président nous explique que la peur du nucléaire est une émotion « moyenâgeuse » dont les tenants risquent de faire du tort à toute la société (discours de Gravelines le 3 Mai dernier). En cause dans la balance : quelques emplois, et quelques mégawatts. Selon lui la France serait, à la différence du reste du monde, pratiquement à l’abri du risque, sans que l’on comprenne bien le cheminement logique qui le conduit à cette afficher une telle confiance (sauf à faire injure aux ingénieurs Américains, Russes ou Japonais, les trois pays qui ont connu les accidents nucléaires civils les plus graves). Mais pas de chance, on nous a déjà fait le coup en 1986 du nuage saute-frontières. Certes un audit est promis, on fermera les centrales jugées « dangereuses »… qui peut encore croire ce type d’annonce ?
Car parler ainsi c’est faire peu de cas de la réalité. Il faut donc rappeler ce que savent les peureux moyenâgeux, et que le Président feint d’ignorer :
- - La sûreté d’exploitation des centrales nucléaires nécessite impérativement la réunion de plusieurs conditions. Au premier plan, il faut une maintenance permanente de très haut niveau technique, supposant un personnel formé, disponible, approvisionné en outillage et en équipements adéquats. Je laisse le lecteur se remémorer les dates des dernières guerres, révoltes, grèves générales et attentats terroristes qui ont émaillé les cent dernières années. En cas de pareils désordres, au demeurant pas improbables à moyen terme, nul ne sait dans quelles conditions les installations seraient conduites et sécurisées.
- - Leur refroidissement requiert par ailleurs d’énormes quantités d’eau, sans que l’on sache bien ce qui adviendrait en cas de sécheresse durable impactant le débit et la température des fleuves (cela s'est produit en 2003)(1), ou encore de marée noire obstruant les circuits des centrales côtières. Faut-il encore parler du risque sismique, qui peut se manifester n’importe où et pas seulement dans les zones déjà connues ? Un détail : ces conditions doivent être réunies sans aucune interruption durant des décennies voire des siècles.
- - Notre approvisionnement en uranium, qui dépend de pays aussi peu sûrs et stables que le Niger, ne serait assurée, au rythme actuel que pour quelques décennies. Comme le pétrole...
- - La gestion des déchets courants, reconnus hautement dangereux pour des dizaines de milliers d'années (!!!)(nb : pour donner l'échelle, la grotte de Lascaux aurait été peinte il y a 16000 ans), est également en trompe-l'œil, se bornant au recyclage d'une infime portion tandis que l'essentiel est exporté vers des zones peu habitées... hors de France.
- - Les centrales ont une durée de vie limitée. Et alors ? Et alors on ne sait pas ce qu’il faut en faire, une fois qu’elles sont devenues vétustes et inexploitables. EDF nous le démontre brillamment à la minuscule centrale de Brennilis (Finistère), où ce qui devait être un chantier modèle patine d’incidents en imprévus depuis 25 ans, pour un coût vertigineux (482 millions d'euros à ce jour, et en vain, selon la Cour des Comptes). A noter au passage que le coût du démantèlement des centrales n’est quasiment pas provisionné par EDF, et encore moins répercuté sur la facture des ménages, ceci afin de favoriser l’acceptation du nucléaire par la population. L'électricité nucléaire n'est pas bon marché si l'on intègre tous les coûts de la filière - et on ne parle même pas du coût en cas d'accident ! Quoi qu’il en soit personne aujourd’hui ne sait vraiment quoi faire de ces lieux contaminés... on attendra longtemps le « retour à l'herbe » promis par les autorités.
- - La probabilité d’un accident nucléaire civil grave (fusion du cœur) est estimée, c'est un ordre de grandeur par ailleurs soumis à de fortes critiques méthodologiques, à 0,5 ou 1 pour 10000 « chances » par réacteur et par an (2). Ce chiffre en apparence relativement modéré doit être mis en perspective avec le nombre de réacteurs exploités (59 en France, environ 500 dans le monde) et avec leur durée d'exploitation (au moins 40 ans selon EDF, avec possibilité de prolongation par tranches de dix ans). Ces chiffres « faibles » ne doivent pas faire oublier que chaque occurrence est une catastrophe, dont les conséquences sont insolubles (sanitaires, agricoles, environnementales, industrielles, énergétiques...) et comme on l'a vu au Japon, inassurables. Il sont par ailleurs contrebalancés par l'existence de trois accidents majeurs dans le monde en cinquante ans d'exploitation (Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima) mais aussi de milliers d'accidents « mineurs » et d'incidents imprévus. Le risque existe et la réalité montre qu'il est bien supérieur aux probabilités estimées.
- - En cas de problème et contre toute logique, les plans de prévention des risques sont bâtis à l’échelle de la commune ou du canton, quand une contamination éventuelle aurait en quelques heures des répercussions à l’échelle régionale au minimum, n'épargnant pas les grandes agglomérations.
- - En cas d’accident, l’exemple de Fukushima montre à quel point, dès lors que les systèmes de sécurité sont débordés, il n’y a pas, il n’y aucun « plan B ». Enfin si, sur le plan sanitaire, comme cela s’est produit en 1986 et aujourd’hui au Japon, on a une solution simple et pas chère : on relève les seuils de radioactivité considérés comme « tolérables » pour les produits alimentaires et les travailleurs sur site…
Nous avons vécu quarante ans dans la peur – réaliste - d’une guerre atomique. Le risque aujourd’hui n’en est finalement guère éloigné, il est peut-être pire car moins identifiable, inodore, pacifique, civil... et il fait tourner nos lave-vaisselles ! En France ce risque a dès l'origine été largement minimisé par les promoteurs de la filière comme par les autorités politiques.
Avant de laisser chacun juger du caractère « moyenâgeux » de ces inquiétudes, rappelons-nous de quoi étaient faites les grandes peurs du Moyen Age. Peur de l’enfer, de la fin du monde ou du jugement dernier, pour irrationnelles qu’elles nous apparaissent aujourd’hui, ces images symboliques incitaient l’homme à tempérer ses passions, à peser ses actes, à confronter ses désirs aux possibilités offertes par la réalité. A prendre conscience, modestement, que certains de ses choix peuvent déclencher des forces qui le dépassent.
A l’ère du nucléaire, l’enfer et l’apocalypse sont à la portée d’un technicien dépressif, d’un kamikaze habile ou d’un aléa géoclimatique. Le monde entier a pu le constater à Fukushima : même dans un pays riche, technologiquement évolué et politiquement stable, il en faut peu pour que notre belle assurance se fissure aussi rapidement qu'un atome de plutonium, et il n'existe ni pays, ni planète de secours. Le monde entier le sait, sauf le Président de la République Française. L’enfer et l’apocalypse nucléaire ne sont pas des fantasmes de hippies rétrogrades : ce sont des risques industriels concrets. Ils doivent être contenus et réduits, impérativement, et c'est urgent. C’est le rôle de l’autorité politique, ce n'est pas seulement celui des ingénieurs, ce n'est pas du tout celui du marché qui n'y voit aucun intérêt à court terme. La position affichée par le Président est une insulte insoutenable à l'intelligence des citoyens et dévoile un manquement inacceptable pour la sécurité de notre pays.
Bertrand GILOT
(1) Autorité de Sûreté Nucléaire, rapport annuel 2003
(2) rapport parlementaire Bataille et Galley, 1998